Soufi, mon amour

Protégé des chorégraphes Akram Khan et Sidi Larbi Cherkaoui, Aakash Odedra livre quatre solos : deux contemporains créés sur mesure par ses deux mentors et deux de sa signature enracinée dans le kathak, « la danse qui l’a choisi ». Entretien avec un artiste accompli, surprenant par son humilité et sa sagesse.
Dès l’enfance, Aakash Odedra a étudié le bharata natyam du sud de l’Inde et le kathak du nord du pays, aussi bien en Angleterre, où il est né que sur la terre de ses ancêtres. Depuis quelques années, il se consacre au kathak, cette danse aux tours enivrants, aux arrêts secs et aux poses de statue.
Heureuses rencontres
Sa rencontre avec le chorégraphe anglo-bangladais Akram Khan, autre adepte du kathak, a marqué un tournant décisif dans son parcours : « Lorsqu’on rencontre quelqu’un qui comprend vraiment d’où on vient et combien on a bataillé pour en arriver là, ça aide énormément, se souvient Aakash Odedra, rencontré en entrevue. C’est grâce à lui que ma carrière de danseur a décollé. »
C’est ainsi qu’Akram Khan a expressément créé pour le jeune interprète In the Shadow of Man, qui fait partie des quatre propositions qu’il dansera au MAI : « Ce solo porte sur la lutte entre la dimension primitive de l’humain et sa facette civilisée, explique Aakash Odedra. Mon personnage voudrait s’arracher de son corps, il souffre. » Pour exprimer ces sentiments de douleur et de combat interne, le danseur se contorsionne en des formes animales, mises en valeur par les éclairages de Michael Hulls au son de la musique classique composée par l’altiste Jocelyn Pook.
Empruntant le langage de la danse contemporaine, l’écriture chorégraphique dans In the Shadow of Man délaisse le kathak cher à Odedra et à son mentor : « Cette collaboration avec Akram Khan a été une expérience très exigeante, parce que je n’avais jamais étudié la danse contemporaine, raconte Odedra. Mais il faut passer par des étapes inconfortables pour grandir en tant que personne et se trouver. »
À Montréal, Aakash Odedra donnera également à voir Constellation, un solo écrit par Sidi Larbi Cherkaoui, autre rencontre marquante et source d’apprentissages pour le jeune danseur : « Sidi Larbi Cherkaoui est comme un moine zen. Il m’a montré ce que peuvent accomplir la simplicité et l’authenticité. »
Constellation est d’ailleurs une pièce minimaliste et contemplative : « L’idée de Sidi Larbi Cherkaoui était de créer une impression de constellation, de flux de lumière, d’énergie et de sons dans l’espace », précise Odedra. Le chorégraphe des magnifiques Tempus Fugit et Sutra a voulu ai nsi jouer avec l’intensité de la luminosité et avec la distance au public d’Aakash Odedra, qui incarne un corps astral dans le solo.
Pour générer les motifs de cette constellation, le concepteur d’éclairages Willy Cessa a conçu un ensemble d’ampoules suspendues, comme autant de sphères illuminant discrètement le danseur. La musique signée par la violoniste Olga Wojciechowska contribue à façonner une atmosphère planante, selon les explications d’Odedra.
Le travail d’état est au coeur du vocabulaire contemporain que s’approprie Aakash Odedra dans Constellation : « Le plus difficile avec Sidi Larbi Cherkaoui, c’est que le mouvement n’est pas blanc ou noir, fort ou faible, heureux ou triste, mais toujours au milieu. »
Spiritualité et sensualité
Le programme 4 solos débute par une pièce de kathak chorégraphiée et interprétée par Aakash Odedra intitulée Nritta (« danse pure » en hindi) : « Je tenais à commencer par une création qui reflète mon héritage et ma formation. Ici, le kathak est typique, très rapide et technique. Ce qui est important, c’est l’énergie de la danse. »
Pour Sufi Kathak, Odedra s’est inspiré des vers d’un poète indien soufi du XIIIe siècle : « Ce poème parle de l’amour pour Dieu d’une manière sensuelle, à travers la voix d’une femme amoureuse. Ça m’a beaucoup interpellé, surtout quand on voit combien les religions peuvent être strictes et combien elles provoquent des disputes », poursuit-il, traduisant un extrait du poème écrit en ourdou : « Colore-moi de tes couleurs, mon amour coloré. Emporte ma destinée comblée, je te donne ma jeunesse. »
Alliant spiritualité et sensualité, ce solo prend appui sur un kathak plus lent qu’à l’ordinaire, mais tout aussi sophistiqué rythmiquement, « semblable à un vin mûr, combinant les tours des derviches tournants et le vocabulaire du kathak ».
Aakash Odedra a lui-même créé les costumes, la scénographie et les trames sonores de Nritta et de Sufi Khatak, qu’il a voulus très simples pour que puisse émerger l’essence du kathak. La musique préenregistrée fait appel au tabla et au sarangi, un instrument de musique indienne classique à cordes frottées et à archet : « La pratique du kathak nécessite des notions de musicalité. Jusqu’à il y a 50 ans, les danseurs de kathak se produisaient à la cour du roi, ils devaient savoir chanter et jouer de la musique », explique Odedra.
Va-t-il chanter en dansant ? Peut-être, répond celui qui parle six langues et pour qui la dyslexie est devenue une bénédiction, le menant vers la danse, « le langage du coeur ».