Remixer les arts vivants

Fatiguée par les amalgames faciles entre le masculin, le féminin et certaines qualités qu’on leur associe trop facilement, Ferron a voulu, dans la pièce initiale, effacer le plus de références possible au genre.
Photo: Andréa de Keijzer Fatiguée par les amalgames faciles entre le masculin, le féminin et certaines qualités qu’on leur associe trop facilement, Ferron a voulu, dans la pièce initiale, effacer le plus de références possible au genre.

La culture contemporaine est souvent basée sur l’emprunt, le repiquage, la réinterprétation. La musique pop le fait souvent, le théâtre remet en scène les mêmes textes, mais qu’en est-il pour les oeuvres de danse — le plus éphémère des arts vivants, avec la performance ? Le Studio 303 lance la question pour une deuxième année consécutive avec Remix.

Le temps de deux soirées (18 et 19 avril), Catherine Cédilot et Geneviève C. Ferron prêtent respectivement leurs oeuvres Fantôme et Tout est dit, il ne reste rien (2012) à Catherine Lavoie-Marcus et au tandem Andrew Tay et Sasha Kleinplatz de Wants Needs Danse. Le défi : amener les pièces ailleurs tout en leur restant fidèle. On y verra d’abord un extrait de la chorégraphie originale suivie de son remix.

Mais qu’est-ce que l’essence d’une chorégraphie ? Ses danseurs ? Leur gestuelle ? Le sujet exploré ? Le concept à partir duquel elle a été élaborée ?

« On observe les différents traits du travail de Geneviève, l’architecture des corps, le thème, le rythme, et on essaie de proposer des idées qui respectent ces traits, mais en les interprétant d’une façon différente », tente de répondre Sasha Kleinplatz, qui présentait à l’automne sa pièce Chorus II dans le cadre de la saison Danse Danse. Ce qui laisse aussi place au « sabotage », au contre-pied, si celui-ci permet de comprendre l’oeuvre autrement. « L’idée est d’explorer jusqu’où on peut aller à partir de l’original tout en lui faisant honneur, pour que le public puisse réfléchir à la pièce à travers différentes fenêtres. »

Chorégraphie dynamique

 

Pour Tout est dit, il ne reste rien, créée à Tangente en 2012, Sasha Kleinplatz et Andrew Tay ont choisi de garder les mêmes interprètes féminines (Ariane Boulet, Joannie Douville, Maude Lapointe, Gabrielle Surprenant Lacasse et Anouk Thériault). Car la quête d’authenticité dans la représentation de l’intimité sur scène qu’y poursuivait alors la chorégraphe s’enracine dans le corps féminin et les lectures préconçues qu’on en fait trop souvent. Toutefois, au phrasé dépouillé, répétitif et lentement déployé du travail d’état de Geneviève C. Ferron, Kleinplatz et Tay ont répondu par une chorégraphie dynamique.

« Même si on garde la même scéno, le travail du corps est tellement différent ; là, on est dans l’action claire », indique la chorégraphe de l’opus initial, encore étonnée du résultat.

Fatiguée par les amalgames faciles entre le masculin, le féminin et certaines qualités qu’on leur associe trop facilement, Ferron a voulu, dans la pièce initiale, effacer le plus de références possible au genre. Une manière de dégager le public de tous les a priori pour qu’il se fasse sa propre lecture de l’oeuvre.

« C’était un lexique plutôt féminin, classique, les corps étaient nus ou presque, mais j’essayais d’enlever toutes les couches de lecture “genrée” pour qu’on voie le corps avant de voir le sexe ou le genre », explique celle qui voulait aussi en finir avec « la nudité comme arme de séduction vendeuse ». Une neutralité du genre que le duo de Wants Need a cherché à préserver à sa manière dans la recréation.

Version féministe

 

Cette réflexion sur l’hétéronormativité — et le remix — s’est amorcée lorsqu’elle a réinterprété l’oeuvre toute féminine Stella de Jean-Pierre Perreault à l’occasion de la dernière édition de Piss in the Pool en 2014, soirée de courtes commandes in situ pour le Bain Saint-Michel, orchestrée par Tay et Kleinplatz. Ferron en avait marre de constater qu’une chorégraphie d’hommes, comme Joe, s’attirait des qualités humanistes alors que son pendant féminin, qui n’a pas connu la même portée, se limitait à une pièce « qui parle de femmes ».

« J’ai donc fait ma version féministe de Stella à partir de là, confie-t-elle. Reprendre l’oeuvre de quelqu’un d’autre, c’est un peu en faire une critique en présentant sa propre esthétique. Il faut se positionner par rapport à l’autre. »

La pratique du remix va donc bien au-delà du simple jeu esthétique. À travers ce dialogue sur l’essence d’une oeuvre ou d’un processus de création, c’est un exercice quasi pédagogique que font les artistes, les uns envers les autres d’abord, mais aussi envers le public, qui découvre, en passant d’une lecture à l’autre, différents pouvoirs d’évocation de la danse.

Autre équipe de valeureux « remixeurs/remixés », Catherine Cédilot a « prêté » sa performance solo Fantôme, présentée aux théâtre Aux Écuries en 2012-2013 et basée sur le livre J’arrive de Guillaume Van Roberge, à Catherine Lavoie-Marcus. À l’origine déclinée en dix versions par autant de metteurs en scène, la courte pièce porte sur le sentiment d’être manipulé, et la seule relation qui en découle est celle de la victime avec son bourreau.

Short Sweet x 30 : pour célébrer la danse à Montréal

À l’occasion de la Journée internationale de la danse (le 30 avril au Cabaret La Tulipe ), la myriade d’activités orchestrées par le Regroupement québécois de la danse culminera cette année avec un spectacle saluant les 30 ans de l’association.

La formule des cabarets Short Sweet a été retenue. La soirée concoctée par la compagnie Wants Needs de Sasha Keinplatz et Andrew Tay convie 30 artistes travailleurs culturels du milieu à créer des duos de trois minutes chacun.

« On a fait du pairage pour se donner plus de défi », explique Sasha Keinplatz, qui partagera la scène avec Sarah Williams. On y verra notamment les chorégraphes Roger Sinha et Mariko Tanabe, et l’interprète et pédagogue aguerrie Anne Le Beau. Mais surtout, on fera une grande place à la plus jeune génération et à des acteurs d’autres scènes dansantes « pour multiplier les perspectives sur l’histoire de la danse », insiste la meneuse du projet.

Ethel Bruneau, reine du tap dance des années 1950 à Montréal, fera donc danser les étudiants de son école et témoignera de son époque. La hip-hopeuse chevronnée Leah Mcfly et Billy L’Amour, danseur professionnel et drag queen à ses heures, fouleront aussi les planches.

Remix

Au Studio 303, les 18 et 19 avril.



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