Zones de turbulences

«Ravages», du jeune chorégraphe Alan Lake
Photo: François Gamache «Ravages», du jeune chorégraphe Alan Lake

Entre chair et terre, Ravages du jeune chorégraphe de Québec Alan Lake traite des zones de turbulences que traverse l’humain, comme la nature. Une oeuvre qui combine jeu avec la matière, danse et image vidéo avec une belle puissance d’évocation mais qui peine à susciter une émotion claire dans l’intégration parfois ardue de tous ses médiums.

Artiste pluridisciplinaire formé autant en art qu’en danse, Alan Lake affirme travailler la chorégraphie comme un artiste visuel. De fait, il aime segmenter l’espace, manipuler la matière et modeler les corps comme s’il s’agissait d’un défi de composition plastique. Ses pièces commencent systématiquement par un film dont les différentes scènes ponctuent ici la chorégraphie. Visages et corps couverts d’humus, course à travers les bois : les images magnifiquement travaillées montrent des danseurs en symbiose avec le cycle irrémédiable de la nature. Tu es poussière et redeviendras poussière…

Projetées sur des écrans de tissu diaphane, ces images se superposent à l’action scénique, cherchant parfois à s’y confondre. Mais trop d’effort est consacré à cet arrimage. Est-il nécessaire de répéter sur scène l’action qui se déploie à l’écran ?

Quand la danse prend le relais sur scène, on sent tout de suite la tension entre la force et la capacité d’abandon des interprètes dans leurs corps à corps brutaux et leur gestuelle ancrée au sol. Le jeu dominant des portés atteint de beaux sommets alors que plusieurs sont initiés à deux et se terminent inopinément dans les bras d’un tiers. L’aisance physique des interprètes dans cette gestuelle brute est remarquable. Malheureusement, elle ne se traduit pas toujours dans une qualité de présence aussi notable dans les moments moins dansés.

Contraste

 

Le contraste puissance/fragilité est mis en écho dans la manipulation de matériaux : grosses poutres qu’on laisse tomber bruyamment, chutes des danseurs du haut d’un mur, boules de pâte lancées tels des projectiles, qui font voler la poussière. À nouveau, ce dédoublement du sens dans un autre médium semble parfois superflu, redondant, même s’il accentue l’imminence du danger qui guette et brosse des tableaux visuellement très beaux.

L’énergie sauvage des danseurs cède le pas à une suite de tableaux où leur lutte perpétuelle s’essouffle. Mais c’est vraiment la vidéo finale qui donne la clé, avec son imagerie visuelle aux accents chamaniques où les corps se fondent à la nature en dépit de leur résistance, pour resurgir certes troublés, mais régénérés. Le ton qui peinait jusqu’ici à se définir s’impose enfin, quoiqu’un peu tard : ni faussement grave ni dans une rédemption triomphante, mais animé d’une saine angoisse salvatrice. Tu es poussière et redeviendras… vivant. Alan Lake s’en va décidément vers une belle intégration des disciplines qui l’animent depuis une dizaine d’années.

Ravages

De Alan Lake Factori(e). Avec Dominic Caron, David Rancourt, Esther Rousseau-Morin, Arielle Warnke St-Pierre. À la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 18 avril.