La vie en Bleu-Vert-Rouge

Elle a du bagou et la bougeotte, dans la vie comme dans ses créations. La jeune chorégraphe Marie Béland, en ascension rapide depuis ses premières créations en 2005 jusqu’à son passage au Festival TransAmériques (FTA) en 2011, en passant par la cofondation du collectif La 2e Porte à gauche, monte maintenant sur la scène de l’Agora de la danse avec son nouveau cru, Bleu-Vert-Rouge.
Sa pièce précédente, Behind : une pièce dont vous êtes le héros, a fait un tabac lors de sa création en 2010 puis au FTA en 2011. Après avoir disséqué le processus chorégraphique dans Rayon X : A True Decoy Story, elle choisissait alors, à l’inverse, de dissimuler la danse (!) en n’en révélant que des reflets, des fragments. Audacieux. Son intention dans l’une et l’autre ? Jouer avec les perceptions, changer le regard sur la danse, sur la représentation, pour laisser le spectateur construire sa propre compréhension.
Cette préoccupation - devenue son sujet de maîtrise - traverse aussi Bleu-Vert-Rouge, qui se divise en trois courtes pièces, en vertu des trois couleurs élémentaires que perçoit l’oeil humain et qui composent l’écran cathodique.
« J’ai scindé les trois couleurs pour isoler trois facettes du même matériel chorégraphique, c’est le jeu de perception que je propose, explique la chorégraphe. Pour nourrir la matière de la pièce, la question qu’on s’est posée, c’est notre rapport à l’image et au son qui nous entourent et comment l’omniprésence de l’image et de la parole des autres nourrit nos corps et finit par nous forger. »
D’un bagou à l’autre : les trois interprètes-collaborateurs Simon-Xavier Lefebvre, Marilyne St-Sauveur et Ashlea Watkin jacassent et chahutent dans une bonne partie de la pièce, composant presque la seule « musique » de Bleu-Vert-Rouge.
« J’ai eu envie de jouer avec la musique des mots, de la parole, parce que c’est ça, la musique de nos vies, dit Marie Béland. Je joue avec les mots comme des mantras jusqu’à ce qu’ils se vident de leur sens et deviennent des musiques abstraites, pour les remplir ensuite d’un autre sens. On essaie de faire la même chose avec les images. »
Brouiller la lecture
La vidéo, signée Martin Lemieux (LEM), domine donc la pièce. C’est à elle que revient ici de fragmenter la danse et de brouiller sa perception, tout en lançant la réflexion sur la prégnance de l’image et du son dans nos vies et nos corps.
Dans Bleu, le premier tiers de l’oeuvre, l’écran trône à l’avant-scène, un peu comme dans Behind, et transmet en direct la danse qui se déroule derrière par un jeu de caméras multipliant les points de vue pour brouiller sa lecture. Vert propose un « micro-univers de la pièce, un peu comme du théâtre d’objets ». Tout se résout dans Rouge, qui remet en écho et en abîme des éléments des deux premiers volets.
« C’est comme un téléroman qui se mange la queue, résume-t-elle. On joue avec la volonté de se mettre en scène. » Cet exercice autoréférentiel se distingue des pièces précédentes en sortant du discours strictement disciplinaire pour glisser vers un questionnement plus social.
Loin de Marie Béland, toutefois, l’intention de donner une leçon. « Il n’y a pas de morale ou de dénonciation ; on essaie plutôt de faire s’entrechoquer la matière. »
Si sa réflexion passe toujours par le corps, la danse, Marie Béland réalise avec cette pièce qu’elle s’éloigne d’une approche purement dansée. Elle se permet plus que jamais d’emprunter aux autres territoires artistiques, la vidéo, les arts visuels, le théâtre d’objets, tant qu’il s’agit de mieux servir l’oeuvre et de donner « un bon show » au public en le secouant un peu dans ses attentes tranquilles.
« Bleu-Vert-Rouge est très interdisciplinaire, très indisciplinaire, à un point où je ne sais plus si c’est du théâtre, une installation ou du théâtre d’objets. C’est un ovni. C’est une pièce qui a une identité très propre et très singulière. Alors, c’est super-stimulant et stressant. »
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Traits dominants chez Marie Béland
- Le jeu avec les codes et la perception de la danse et du spectacle, ainsi que l’approche ludique en général (même si elle n’aime pas le terme à force de l’entendre).
- Le chaos organisé de ses propositions chorégraphiques.
- La physicalité un peu brute de la gestuelle, qui gravite autour d’un concept central fort.
- La récurrence, la mise en écho, l’autoréférence.
- La porosité (pour cette pièce-ci en particulier) : « On est baignés dans les images et les paroles des autres, dit Marie Béland. On absorbe ce qu’on voit et entend, puis on le recrache chacun à sa manière. Alors, on a beaucoup travaillé sur les traces que les choses laissent dans notre mémoire et notre corps. »