Son nom est Personnes

Suffit que José Navas passe, fondant de désir au sol, d’un complet-veston aux fesses nues cherchant le sexe en quelques hypnotisantes roulades au sol, pour que la magie opère.
Photo: Source: Valerie Simmons Suffit que José Navas passe, fondant de désir au sol, d’un complet-veston aux fesses nues cherchant le sexe en quelques hypnotisantes roulades au sol, pour que la magie opère.
On a gardé un souvenir ému des très personnelles Miniatures que Navas dansait en 2008. Personae est de même eau et de même construction: six solos se succèdent, six vignettes très courtes, sur des pièces musicales connues et porteuses — ici Vivaldi, Rachmaninoff, Verdi —, des constructions chorégraphiques simplissimes et claires, autour du thème pas si évident à lire de la divinité, et de celui, limpide, du désir.

José Navas est un interprète d'une indéniable autorité de présence, racé, capable d'une belle précision de lignes et d'une grande sensualité. Villanelle, vue en ouverture de S en 2009, est d'une majesté un peu plastique, d'un statuaire trop classique pour être vraiment poreux. Mais la magie revient vite. Suffit que Navas chausse des talons pour incarner à sa manière une divine danseuse qui a marqué sa mémoire d'enfant, et voilà qu'il devient un troublant androgyne latin façon La mala educación. Suffit qu'il passe, fondant de désir au sol, d'un complet-veston aux fesses nues cherchant le sexe en quelques hypnotisantes roulades au sol. Ou qu'il se coiffe d'un méchant masque de couguar et de running shoes, osant enfin la fluidité des jambes, pour haleter au son de Patti Smith. En final, son Boléro de Ravel, au début très efficace, finit par tourner sur lui-même, littéralement et chorégraphiquement, mais le créateur arrive à faire oublier la version indélébile de Maurice Béjart, et celle récemment revisitée par Alain Platel. Ce n'est pas peu.

Navas cherche à plonger dans l'intime, et c'est quand il quitte ses tics de chorégraphe qu'il est le plus touchant. Un souvenir qu'il partage, une soudaine fluidité des jambes, sa sensualité très grande sont mille fois plus évocateurs que ses pirouettes, ses tours chaînés et ses grands pliés en première position tenus façon statue qu'il nous a déjà surseriné.

On questionne le choix de rester toujours en scène, à vue, pour changer de costumes et d'état. Le jeu permet de voir Navas se transformer, du civil au danseur et ensuite au personnage, mais la formule répétée cinq fois devient lourde et donne un côté engoncé à la structure, car l'autorité de Navas risque parfois de tourner à la préciosité. Certaines des pièces, toutes très courtes, auraient gagné aussi à être développées davantage.

C'est un beau Navas, portrait multiple d'un danseur riche de charisme, de ses danses et de son expérience. On se prend toutefois à rêver d'un peu plus encore, exigeante que l'on est. D'une pièce de groupe, peut-être, qui aurait autant de textures, autant d'épaisseur et de densité émotive? Que le chorégraphe s'essaie à transmettre à ses danseurs davantage que des lignes? Ou qu'il se construise un solo aux chapitres enchâssés, avec toute l'intelligence spatiale qu'on lui sait, plutôt que d'opter, option finalement un peu facile, pour la courtepointe?

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