Se [com]mettre en scène

Le danseur, plus que tout autre artiste, doit faire corps avec son œuvre. Simple pléonasme? L'interprète et chorégraphe français Olivier Dubois en fait plutôt un enjeu de création/réflexion, qui a catapulté sa carrière. Après quelques apparitions remarquées au Festival d'Avignon, il est invité à Montréal dans le cadre des Escales improbables.
Il arrive avec son solo Pour tout l'or du monde, qui l'a mis sur la carte de la chorégraphie française à Avignon en 2006. L'auteur auquel il devait être jumelé dans la série «Le sujet à vif» se décommande et le laisse seul face à lui-même... et à ses questionnements.«Qu'est-ce qu'un interprète? Qu'est-ce qu'un corps au service d'une oeuvre, d'un auteur, d'un public?», se demande le danseur, depuis lors doublé du rôle de chorégraphe. «Ce solo est comme une photographie, un état des lieux de la question d'interprète.» Le tout sur le ton mi-sérieux, mi-dérisoire.
Olivier Dubois s'est longtemps senti imposteur dans son milieu, moins à cause de son physique un peu enrobé que parce qu'il a pris pied très tard — à 23 ans — dans un métier réputé pour ses jeunes recrues. La question de sa propre pertinence le suit donc, en écho à celle de l'essence de l'interprétation, de son rapport au poids de l'histoire, au fantasme de l'icône du danseur.
Son solo revisite ainsi à sa manière un de ses ballets fétiches, Le Lac des cygnes, puis bifurque dans l'univers du «gogo dancing» en basculant la barre classique du ballet à la verticale. Symbole devenu une obsession chez l'artiste.
«[Ce solo] faisait partie d'une réflexion sur pourquoi je dansais, pourquoi j'allais passer ma vie sur un plateau, en costume ou pas, exhiber mon corps et être payé pour ça, explique-t-il. C'est un solo un peu tragicomique, sur cette question du corps livré, vendu, prostitué, exhibé.»
Après avoir laissé sa marque comme danseur, souvent soliste, chez des chorégraphes tels Angelin Prelojcaj et Karine Saporta, il passe quatre années plus déterminantes chez l'artiste Jan Fabre. «On y faisait appel à d'autres choses comme la question de l'interprète pensant, la notion de responsabilité de l'artiste, la réflexion sur l'oeuvre, sur l'art, sur le monde», raconte-t-il.
Depuis toujours, il défendait cet engagement de l'interprète envers l'oeuvre, toujours distinct de sa relation au chorégraphe. L'expérience vécue chez Jan Fabre lui confirme qu'il se sent plus auteur que simplement danseur ou chorégraphe. «Je suis plus proche d'un théâtre en mouvement.»
Le mouvement pour lui-même, il n'en a que faire. Le geste incarne d'abord une volonté, un angle, une vision d'artiste — qui ne vient pas strictement du chorégraphe. Il faut se commettre en scène ou ne pas être artiste.
«Il y a cet espace d'intimité qui est dévoilé [dans l'interprétation], dit-il, on met en jeu notre âme, il faut laisser des plumes sur le plateau, sinon ça n'a aucun intérêt.»
Lieu inusité pour solo atypique, c'est à la Fonderie Darling que Pour tout l'or du monde est présenté ce soir et demain au programme nocturne des Escales improbables. Ces rendez-vous multidisciplinaires et souvent indisciplinés se poursuivent de jour du 9 au 11 septembre sur les quais du Vieux-Port. Dix-huit projets allant de la performance interactive du Suisse Yan Duyvendak au Babel sonore de la compagnie Caracol, en passant par la peinture en direct de RGB Live Painting, la robe flottante d'Ana Rewakovicz, la création collective de l'environnementaliste sonore Freeworm.