Danse - Joindre tous les bouts

Une scène de Complexe de genres en répétition
Photo: Lyriane C. Perron Une scène de Complexe de genres en répétition

Virginie Brunelle a terminé ses études en danse il y a bien peu de temps, tout juste en 2007. Les Cuisses à l'écart du coeur, première chorégraphie signée l'année suivante, la fait alors remarquer. Depuis, Dave St-Pierre lui a offert, comme pour les shows rock, d'ouvrir, en première partie de ses spectacles. Brunelle prépare maintenant sa deuxième chorégraphie intégrale, longue durée, pour le Théâtre La Chapelle. Un départ canon? Regards sur la création et sur la réalité, pas si facile, de chorégraphe de la relève.

Virginie Brunelle a eu la chance, dans les dernières années, d'aligner trois créations «back à back», comme elle le mentionne au-dessus d'un café au lait, alors que Le Devoir l'attrape au sortir d'une répétition. «Les cuisses à l'écart du coeur était une pièce faite de beaucoup d'images arrêtées, provocantes, un bras entre les cuisses, par exemple.» A suivi la courte Gastro affective, en première partie de St-Pierre. Et l'an dernier, à La Chapelle, Foutrement, «qui était une pièce faite de moins d'images arrêtées, tout en duos et plus fluide entre ses tableaux. Plus physique aussi. Et plus narrative, puisque je parlais de l'adultère, de ce feeling qui fait mal, qui arrache le coeur.» La voilà à la veille — presque! — de présenter Complexe des genres, un sextuor sur l'incommunicabilité et les difficiles relations de couple.

Ensemble, c'est tout

Ce couple semble, depuis les débuts chorégraphiques de Virginie Brunelle, une incontournable question. «Le thème a évolué, ça va avec le cheminement personnel, avec le couple, le désir d'avoir des enfants, etc. On est dans l'éternel recommencement en se connaissant à chaque fois un peu mieux. De l'incommunicabilité, de la résistance face à l'autre, on est passé à la recherche du lâcher-prise devant le jugement. Là, avec les enchaînements qu'on a commencé à faire [à une semaine de la première] —, on travaille cette logique qui fera la ligne dramatique et qui se trouve dans l'ordre des tableaux. Et ce qui reste, c'est une quête. Je pensais parler de ce qui définit l'homme et la femme, de ce qui les distingue physiquement, corporellement, émotivement, et j'ai réalisé que finalement ces hommes, ces femmes, qui semblent différents, veulent tous la même affaire. Ils tentent de trouver l'amour, le bonheur, la simplicité. Je pense qu'ils arrivent à une légèreté, à quelque chose de plus posé que dans mes autres pièces.»

Virginie Brunelle compose ses chorégraphies par tableaux. Les yeux fermés, souvent à l'orée du sommeil, elle voit. «C'est intuitif, visuel, c'est pour ça que je fais de l'insomnie: je dois me lever pour noter les idées. C'est étrange que ça ne se passe pas physiquement. Je le vois, comme une image arrêtée, et après, quand j'arrive en studio — si ça marche! — ça se fait comme une sculpture.» Elle s'inspire beaucoup de la musique — «j'ai fait 10 ans de violon» —, qu'elle utilise d'une façon très cinématographique. «J'adore utiliser des pièces connues, qui apportent des références. Pour Complexe des genres, on voyage dans le temps de la musique classique. Ça commence sur le Requiem de Mozart, ça passe par Schubert, Chopin, ensuite Philip Glass, Richter, et on va finir avec de la pop — peut-être Radiohead, je sais pas encore. Il y a quelque chose dans l'époque, ce Vienne XVIIe siècle, qui colle avec la pièce.» Ses lectures la nourrissent aussi, surtout la psychologie, jusqu'à la psychopop, même. «Le dernier livre que j'ai lu, c'était Apprivoiser ses émotions (Eyrolles)», précise-t-elle, tout sourire.

La décharge d'énergie, la violence dans le risque, dans le poids lancé sans merci, demeurent peut-être adoucies. «J'aime l'endurance, voir la fatigue physique qui devient de la fatigue émotive.» Comme dans le travail de Daniel Léveillé, qu'elle admire tant pour ses chorégraphies «hyperphysiques, froides, mais qui finissent par faire ressortir les émotions» que pour sa concision pédagogique. Pina Baush, théâtrale, narrative, est l'autre grand modèle. «J'essaie de mixer les deux.» Et le mot d'ordre, nouveau, apparu pour Complexe des genres, est celui de Nuances. «J'ai voulu de plus grandes séquences, des blocs, des chemins croisés. On voyage: il y a du solo, des duos, des trios, des moments en groupe. Je vois davantage de suspensions, beaucoup plus de travail dans le rythme. Un autre mot, qui est revenu et revenu en répétition, c'est texturé.»

En rose et bleu

Virginie Brunelle s'amuse souvent, dans ses images, à renforcer certains clichés homme-femme: les filles sur pointes et tulle, les garçons qui les portent, tout muscles, avec épaulettes de hockey. Des archétypes. «Ces clichés sont présents dans notre société, ne nous dérangent pas. Dans Complexe des genres, le premier tableau s'ouvre comme ça: les hommes portent, les filles sont en tutus. Mais c'est froid. Et de plus en plus, les deux portent et supportent, comme dans le couple. Mais mes gars font 6' et 6'4", ils sont lourds, les filles accusent le coup. On voit l'évolution en regardant mes trois chorégraphies. Ça se peaufine.»

Virginie Brunelle «arrive à survivre» uniquement, depuis la fin de ses études, de son métier de chorégraphe. Sa compagnie a pu présenter Foutrement en Europe, et des négociations vont bon train pour qu'une tournée se fasse aux Pays-Bas, et peut-être, avec de la chance, en Belgique. «J'ai été chanceuse, j'avais une opportunité tout de suite en finissant l'école. J'ai réussi à survivre en étant seulement chorégraphe au cours des trois dernières années, même si la pression financière est forte, en enfilant les pièces. Mais l'an dernier, il y a eu des moments où je n'avais plus de plaisir. Là, je vais devoir me trouver un side-line, un autre boulot, et je m'endette pour faire le show parce qu'on n'a eu aucune subvention.» La jeune chorégraphe, qui a déjà dû répondre aux impératifs administratifs, découvre la recherche de commanditaires et de mécènes. «C'est dur de ne pas laisser l'administratif bouffer l'artistique,» conclut-elle.

À voir en vidéo