Danse - Vous dansiez ? Eh bien, parlez, maintenant !
La danse, bien sûr, est l'expression du corps. Silencieuse, axée sur la sensation et l'intuition. Comme danseur, artiste du pré-verbal et du hors-mot, comment alors prendre la parole si on a besoin de revendiquer pour son métier?
À la fin des seconds États généraux de la danse, le Regroupement québécois de la danse (RQD) a invité les participants à signer une déclaration d'intention: «nous nous engageons à briser le mur du silence entourant les problèmes de santé physique et mentale dans nos bureaux, nos studios, sur la scène, en tournée, dans nos écoles de danse. Nous nous engageons [...] à parler franc, à mettre des mots sur les maux qui minent le moral, la santé des troupes et la qualité de notre danse». Une déclaration d'intention qui laisse lire entre les lignes qu'une omerta règne sur le milieu.Grande gueule
Catherine Viau est une danseuse de Montréal réputée grande gueule. Dès la fin de ses études, elle se démarque, auprès des Danièle Desnoyers, Sylvain Émard, O Vertigo et Bouge de là. À tout juste 24 ans, elle se retrouve au comité de consultation danse de l'Union des artistes. «J'y ai affiné mon discours, explique Viau au-dessus d'un café. J'ai eu à me demander ce qu'est un danseur, quels sont ses conflits et leurs natures.» À la table des négociations, elle est outrée par ce qu'elle entend de certains administrateurs en danse. «Il y avait un préjugé envers les danseurs, ça m'a insultée. Une tendance à les traiter comme des enfants.»
Depuis, elle cherche à ce que plus de reconnaissance soit accordée aux danseurs. Déjà entendu? Viau va plus loin: elle croit que même le RQD, même la communauté de la danse, néglige, d'une certaine façon, ses interprètes. «On essaie de faire reconnaîtregre la danse en misant sur les oeuvres et les chorégraphes, sans utiliser les danseurs, sans leur donner le micro. On traîne comme un boulet au moins 60 % du milieu! Il faut sortir du star-system qui mise seulement sur les chorégraphes: le public s'en fout, des chorégraphes! Il connecte au corps qui sue, qui a chaud, qui exalte; il vit, comme un être de chair et d'os, à travers le danseur», s'insurge-t-elle.
En mai dernier, Catherine Viau lance le blogue «Le danseur ne pèse pas lourd dans la balance», qui «s'intéresse à la parole, aux droits et responsabilités du danseur». Elle explique: «Je cherchais un outil pour être écoutée et je voulais voir si je disais tout haut ce qu'en danse on pense tout bas, à quel type de résistance ou d'indifférence je me heurterais.» Sa communauté de lecteurs, intime, est très spécialisée: quelque 200 abonnés, presque tous des professionnels. Sur le blogue, Catherine Viau s'interroge par exemple sur les différents besoins entre pigistes et danseurs de compagnie, sur les critères des demandes de subvention, sur les jeux de pouvoir entre chorégraphes et interprètes. Elle accorde des prix Citron aux diffuseurs qui ne nomment pas les interprètes dans leurs programmes... et arrive, grâce au poids média, même minime, de son blogue à faire un peu changer les choses.
Alors que le milieu de la danse réclame plus de reconnaissance et d'espace médiatique, il est étonnant de constater que peu de danseurs s'investissent dans cette conversation Web 2.0. «Oui, ça me déçoit que les danseurs ne prennent pas plus la parole. Il ne faut pas oublier qu'ils sont danseurs parce que cette parole ne leur vient pas facilement. Dans la formation même, tout concourt à leur ôter parole et pouvoir. Dans les classes, où on habille et peigne toutes les gamines pareillement, devant le miroir, on leur interdit de parler, on surveille ce qu'elles mangent... On encourage une forme d'immaturité, une certaine soumission requise.» Elle comprend la crainte de ses collègues. «Mais peut-on arrêter d'avoir peur des mots, de toujours marcher sur des oeufs?»
Que retient-elle de son rôle de héraut? «En prenant position publiquement, ça t'oblige à réfléchir et tu ne peux plus t'enfermer dans ton sentiment. Tu es obligé d'aller plus loin que toi-même, de débroussailler, de comprendre.»
Son message? Vous dansiez? J'en suis fort aise. Eh bien, parlez, maintenant!