Danse - Danser ce que l'homme a cru vivre

Que reste-t-il d'une vie, au regard du danseur? Bien peu de chose, à voir Marc Boivin, dans son allure de bonze, décliner l'essentiel de la sienne. Tant qu'un coeur bat, visible sur une vitre derrière laquelle le danseur se profile, les émotions se succèdent, impacts, dit-il dans son titre comme dans les poses où monte la parole, et chocs incorporés, mémorisés malgré soi. Demeurent les élans vitaux, soufflés dans cette extension de la danse à la biographie, où des figures rapides vont des plaisirs silencieux aux noeuds d'angoisse et aux sanglots ravalés.

Dans l'épanchement d'un art qui dessine en raccourci les moments forts de la naissance à la mort, traverser les premiers pas, l'enfance et les accidents de vivre permet d'accéder à la conscience de soi. Peut-on la décrire en dansant? Boivin ôte les informations nuisibles, externes, et délivre, agrandies par ses complices, les concepteurs Diane Labrosse et Jonathan Inksetter, les qualités d'une gestuelle centrée, sentie, diffusant l'ouverture et l'écoute par-delà le fait d'être seul.

Tel est le pari du solo, un langage abstrait, ni vertical ni fortement accentué, ni minimaliste ni expressif. Le danseur, recroquevillé ou en équilibre sur sa hanche, au sol, ou occupant l'espace de ses grands moulinets, de ses tracés ou en stases pensives, nous hypnotise. Nul besoin d'une chambre à soi pour exister. En sa tonicité bouleversante, il suspend les mutations de ses états d'âme, se retire en soi, libère sa virulence, se défait, revient à nous et renaît.

Ainsi accepte-t-il de suivre le chemin de l'inévitable, cet éloignement entamé depuis longtemps et ponctué de gestes encore très doux. La disparition des parents âgés, malgré les ultimes captations de la vidéo, fait monter la transe, mais aussi la chaleur de l'effort nécessaire pour composer avec l'espace.

Dans le prologue, à même le hall de l'Agora, Boivin improvise le fondu enchaîné de son corps à l'origine de la vie. Tant va la cruche à l'eau qu'elle casse. Tout le monde se déplace. Puis, en un solo entrecoupé d'interactions avec le public, il signe une suite fervente d'impacts mémoriels. Les résistances du vivant à ce qui l'émeut sont aussi vraies qu'un corps fixé aux rayons X. Elles mettent à nu le manque en soi et les compensations dansées d'une archaïque et universelle douleur.

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Impact

Chorégraphie et interprétation de Marc Boivin; 2, de Bill Young et Colleen Thomas. Tangente, du 7 au 10 mai.

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