Danse - Double vie

C'est un euphémisme de dire qu'Andrew de Lotbinière Harwood aime les vertiges de la création. Le danseur se sent à l'aise quand il ignore s'il tombera ou s'élancera l'instant suivant.
C'est tout le défi de l'improvisation en danse, à laquelle il a donné ses lettres de noblesse, figurant en tête de la très courte liste des improvisateurs canadiens aguerris. Liste à laquelle il n'hésite pas à ajouter son comparse des dernières années, Marc Boivin, avec qui il signe L'Ubiquiste à l'Agora de la danse.Après quelques saisons à multiplier des projets plus spontanés comme Discovery Bal ou L'Instinct... et encore, présentée dans des petites salles, le créateur infatigable et prolifique foule cette semaine les planches avec une création plus mûrie, quoique toujours fondée sur le risque de l'immédiateté.
Andrew Harwood aime parler de ces projets comme de «chorégraphies instantanées». «Le terme est très juste parce qu'il y a beaucoup d'espace pour l'interprétation durant la pièce, ça change d'un soir à l'autre même si le décor reste le même. Il y a des thèmes préétablis, mais pas de chronologie spécifique.» Ces thèmes touchent à la double vie ou à la double personnalité que chacun porte en soi, tiraillé entre la routine quotidienne et une existence rêvée, imaginée.
Le balcon du voisin
«Je me suis inspiré d'un monsieur qui habitait en face de chez moi. Son balcon devenait son sanctuaire, son royaume, où il sortait et se mettait à se parler d'un monde imaginaire, regardait passer les gens, changeant souvent de cap dans son discours. C'était un homme intelligent, qui connaissait la politique, la culture, mais sans cohérence.»
La fascination que ce voisin, aujourd'hui décédé, exerçait sur lui l'a incité à enregistrer l'un de ces discours échevelés que les improvisateurs s'approprient dans L'Ubiquiste. Le balcon est aussi devenu leur univers de scène, un décor en pièces détachables que les deux danseurs peuvent reconfigurer à leur guise.
À l'instar de cette scénographie transformable, la musicienne Diane Labrosse tisse sa toile musicale au fil des échanges et coups de théâtre. La chorégraphie évolue elle aussi de manière spontanée, quoique solidement structurée.
«On a travaillé une quinzaine de structures ou canevas d'improvisation dans lesquels on pige» aléatoirement, explique-t-il. «Sans que les mouvements soient chorégraphiés, le thème est très clair et il y a des éléments déclencheurs.» Il cite comme exemple l'utilisation de la voix ou le déplacement de poteaux qui leur servent de signaux pour déclencher une nouvelle structure. La forme plus achevée de L'Ubiquiste découle aussi d'une étroite collaboration avec le dramaturge Guy Cools.
«Il apporte toute sa connaissance en développant la facette de la voix, du caractère, des états d'âme, confie Andrew Harwood. Il donne la possibilité de réviser et de mettre en question toute la matière, de l'approfondir, et me pousse dans des lieux ou je n'irais pas si j'étais tout seul. Il offre une autre perspective.»
Initié à la danse par Linda Rabin à Vancouver en 1975, Andrew Harwood y rencontre Peter Bingham, autre manitou canadien de l'impro et actuel directeur artistique du collectif de performance EDAM (Experimental Dance and Music), avec qui il forme à l'époque la troupe Fulcrum. La danse Contact Improvisation de l'Américain Steve Paxton aura une forte influence sur son travail. Depuis, il multiplie les projets tout en enseignant dans des ateliers en Europe.
En 2000, sa carrière a déboulé avec la création de sa compagnie Ah Ha Productions et l'octroi du prix Jacqueline-Lemieux du Conseil des arts du Canada. Plus récemment, il a collaboré au projet Not to Know avec Benoît Lachambre en 2001, créé chez Danse-Cité la magnifique chorégraphie instantanée Ani*mâles avec neuf autres hommes en 2002. Il mène depuis trois ans ses rendez-vous improvisés Discovery Bal au Studio 303 avec Marc Boivin et Chris Aiken.