Danse et performance - Phobie créatrice et pièges de chasse

C'est un curieux objet théâtral, cinématographique et performatif que propose le Studio 303, ce soir et demain. Phobophilia porte sur ce sentiment ambigu auquel renvoie le titre, entre l'attraction et la répulsion qu'inspire la peur, tant dans sa dimension intime (émotionnelle, sexuelle) et artistique qu'en référence à la situation politique mondiale.
Stephen Lawson et Aaron Pollard sont des adeptes de pièces «prêtes à jouer», empruntant souvent la forme du cabaret, afin de multiplier les contextes de représentation: concert rock, discothèque ou théâtre. Leur répertoire compte surtout des oeuvres courtes mais ces dernières années, ils en ont créé de plus longue durée, comme Phoenix et zo-na-pel-lu-ci-da.«C'est un projet spécifiquement conçu pour aborder la peur, comme émotion mais aussi comme arme politique, résume Aaron à propos de Phobophilia. Tout ça dans le contexte de l'oeuvre de Cocteau.»
On y retrouve l'humeur sombre, onirique et inquiétante, parfois truculente des films de Cocteau et de l'époque des années 30. Le tandem de 2boys.tv se réfère aussi à l'émergence du jazz et à l'ombre de la Seconde Guerre mondiale.
«La référence à Cocteau est assez poétique, décrit Aaron. Elle renvoie surtout à ses oeuvres cinématographiques et poétiques, à son questionnement sur le rôle de l'artiste, du poète. Certaines scènes sont des citations de son oeuvre.»
Tandis qu'Aaron pilote la technique derrière un public réduit de 20 spectateurs et prononce quelques textes (dont l'interrogatoire d'un soldat canadien en Syrie), son comparse Stephen se fait performeur et manipulateur d'objets. Le spectacle commence quand il ouvre délicatement une boîte dont le couvercle deviendra le livre-écran d'un cinéma miniature, dont il manie les scènes comme des chapitres en tournant les pages. Performance intime qui commande un public restreint.
«On a été très inspiré par la production Ubu sur la table», indique Aaron.
Entre marionnette et marionnettiste, victime et maître du jeu, tantôt salvateur ou pervers — ambiguïté toute «phobophilienne» —, Stephen dirige et subit tout à la fois l'aventure de son alter ego cinématographique, qu'il mime en superposition à l'action filmique.
«Il y a une mise en abyme: je suis le performeur sur scène, mais aussi dans la projection», explique ce dernier.
Le personnage-artiste, capturé par une ombre machiavélique, se retrouvera dans les entrailles de la ville, dans un cabaret au goût douteux et à l'érotisme... transgenre (Stephen Pollard aime jouer les travestis et faire du «lyp-sinc»). Jusqu'à ce que l'horreur éclate.
L'extrait qu'a pu voir Le Devoir navigue entre réalité et fiction, entre surréalisme et pseudo-horreur hitchcockienne. Un univers à la fois étrange et familier.
Le jeu des boîtes
Phobophilia aurait très bien pu s'insérer dans le programme du week-end suivant, toujours au Studio 303. Le petit théâtre de l'underground montréalais propose une soirée sur le thème de la boîte, clin d'oeil à l'espace scénique dont la structure est souvent mise au défi en danse contemporaine.
Cinq courtes pièces s'enchaînent, en commençant par le duo Permis d'exploitation de l'artiste multidisciplinaire Silvy Panet-Raymond, connue aussi comme théoricienne et enseignante au département de danse de Concordia.
Sa boîte est celle, musicale, de l'artiste visuel Sylvain Baumann, truffée de compositions fougueuses de Bellerocaille. Mais c'est aussi une caisse, une cage, un piège, et surtout le catalyseur de scénarios divers.
La boîte devient le motif central de «toutes sortes de stratégies que le duo se construit pour essayer d'occuper le territoire de l'autre, de le mettre en boîte, des fois, explique l'artiste et professeure à propos de la pièce, qui oscille entre danse, théâtre et performance, dont une première version a été présentée à la SAT en octobre dernier. Ces scénarios filent constamment sur un tranchant: dès qu'ils tombent du côté de la victime ou du persécuteur, on doit revenir sur la lame. Il n'y a jamais de parti pris.»
Elle aime l'idée d'utiliser le faux pour piéger le vrai. Toute une section repose sur l'usage d'un tissu dont l'homme (Christian LeBlanc) enveloppe la femme (Caroline Dubois) et qui transforme celle-ci en toutes sortes de personnages à différents âges. Aussi, les films qui ponctuent le duo mettent en scène des appelants, tournés dans des gabions de chasse au canard en France, où un lieu sauvage et factice — marais habité de faux canard — devient un piège de chasse. Un band de trois jeunes musiciens accompagne le tout.
Ces derniers temps, Silvy Panet-Raymond a créé des pièces au fil des invitations à l'étranger: en Belgique avec l'écrivaine Yolande Villemaire, en Croatie l'été dernier. Mais elle privilégie surtout les ateliers de création qui permettent de composer du matériel chorégraphique abondant issu de tous les participants qu'on peut amalgamer de toutes les manières.
«J'aime explorer un territoire sous toutes sortes d'angles avec des gens différents et ne pas toujours être dans la même position, abolir certaines positions pour repenser les conventions de la création.»
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Phobophilia
De la compagnie 2boys.tv
Les 9 et 10 février
Permis d'exploitation
De Silvy Panet-Raymond
Le 16 février
Au Studio 303 (372, Sainte-Catherine Ouest, local 303)