Danse - Osmoses chorégraphiques

La mémoire oublie peut-être les détails, mais elle retient l'essentiel. Du passage de l'artiste britannique Russell Maliphant en 2001, on se souvenait surtout d'un flot d'énergie passant d'un corps à l'autre ainsi que de l'élégante gestuelle. Le retour de la Russell Maliphant Company, que nous avons vue au Centre national des arts d'Ottawa la semaine dernière et que Danse Danse accueille à Montréal dès demain, a agréablement réveillé ces souvenirs endormis.

Il y a sans conteste une signature Maliphant dans ces bras qui mènent la danse, ces génuflexions en mouvement rotatif, les jambes croisées, et ces dos cambrés à outrance. Cependant, encore plus que le vocabulaire gestuel spécifique, c'est l'équilibre des forces en présence et le transfert de l'énergie d'un danseur à l'autre qui séduisent chez ce créateur londonien.

Des trois courtes pièces au programme, le plat de résistance est sans conteste Transmission, un superbe quintette féminin conçu en 2005. Le chorégraphe, qui crée en étroite collaboration avec le concepteur d'éclairages Michael Hulls depuis dix ans, voulait au départ travailler avec des lampes mobiles. Mais tous deux ont trouvé mieux: donner l'illusion du mouvement. Après tout, la lumière n'est rien sans un corps pour la réverbérer. Dans l'obscurité quasi totale, les gestes des interprètes semblent déclencher des étincelles lorsqu'ils passent dans un faible rayon de lumière. Le contact de la source lumineuse avec la peau en décuple l'intensité.

La danse qui s'ensuit révèle tout le génie de la composition de Maliphant. En duo dans des carrés de lumière, deux danseuses semblent se livrer à un étrange duel sans affrontement. Il s'agit plutôt d'une dynamique de complémentarité, de poids et de contre-poids, d'une osmose chorégraphique, comme le montrent éloquemment les chaînes humaines qu'elles forment à cinq par moments.

Clairement enracinée dans la danse classique quoique plus ancrée au sol, l'esthétique de Maliphant puise énormément dans des disciplines comme la capoeira, le yoga et le taï-chi. Une humeur méditative s'en dégage. Et sa danse distinctive n'exploite ni le registre de la sensualité ni celui d'un formalisme vidé de toute substance.

Moins riche dans la composition, le duo Push, créé à l'origine pour l'ex-étoile de l'Opéra de Paris Sylvie Guillem et le chorégraphe lui-même, n'en offre pas moins de troublants moments de complicité entre les beaux grands corps de Juliette Barton et d'Alexander Varona. Dans le solo One Part II interprété par le chorégraphe sur du Bach, le tonus particulier des bras évoque parfois Paul-André Fortier.

Dans l'ensemble, l'approche danse-lumière-musique fascine. Les éclairages, qui tiennent lieu de seul décor, ne sont pas subordonnés à la danse: ils ont une qualité et une fonction propres. Ici, ils influencent la perception temporelle; là, ils sculptent l'espace, changent les perspectives et la profondeur de champ. Et les compositions originales de Mukul (Transmission) et d'Andy Cowton (Push) complètent le tableau avec brio.

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ONE PART II, TRANSMISSION ET PUSH

Chorégraphie: Russell Maliphant Company, À la salle Pierre-Mercure du 7 au 9 décembre

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