Danse - La fleur et la force de l'âge

À l'aube de son demi-siècle, la vénérable institution des Grands Ballets canadiens montre qu'on peut être à la fois dans la fleur et dans la force de l'âge.

En lançant sa 50e saison avec la reprise du Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot, maître du néoclassique français qui dirige les Ballets de Monte-Carlo, la compagnie montréalaise réitère son engagement artistique des dernières années: bâtir du neuf sur du plus ancien, toujours avec un brin d'audace.

Car le ballet de Jean-Christophe Maillot, bien qu'il s'enracine dans une histoire datant de la Renaissance, voire de l'Antiquité, est une ode à la fougue idéaliste de la jeunesse, quelle que soit l'époque.

«Ce que j'aime de ce ballet [qu'il compare au film de Franco Zefirelli], c'est qu'on y voit la jeunesse et qu'on y croit, confie Gradimir Pankov, le directeur artistique des Grands Ballets canadiens. Il n'y a pas de balcon, les costumes, les décors et les références à la Renaissance sont limités. Il évite la pantomime et donne un différent tempo qui la rend compréhensible à notre génération. On n'a pas l'impression d'y voir les dinosaures d'une époque révolue.»

Ce caractère intemporel tient au mythe même de Roméo et Juliette, qui a tous les traits d'une tragédie antique (pensons à Pyrame et Thisbée), fut immortalisée par Shakespeare à la Renaissance, incarne la quintessence du romantisme et inspire maintenant une multitude d'oeuvres contemporaines. On attend d'ailleurs bientôt la version cinématographique québécoise du chef-d'oeuvre shakespearien, signée Yves Desgagnés.

La pureté des lignes chorégraphiques du ballet de Jean-Christophe Maillot, qui s'attarde particulièrement aux rapports psychologiques entre les personnages, l'amène au-delà de la simple tradition académique. L'oeuvre reste toutefois fidèle à la musique de Prokofiev, qui a vu naître la première mouture du ballet en 1938, sur une chorégraphie d'Ivo Psota.

Présentée une première fois à Montréal en 2004, la création de M. Maillot a connu un tel succès que le directeur artistique des GBC a jugé bon de la remettre au programme, comme un cadeau offert à la fois au public et à la troupe, qui adore interpréter cette oeuvre.

«Les sept représentations de 2004 ont été présentées à guichets fermés. Beaucoup de gens en ont redemandé.» Un contexte exceptionnel qui a prévalu seulement pour Carmen et La Reine de pique depuis l'arrivée de M. Pankov en 2000, deux créations des GBC.

La pièce s'avère aussi très stimulante pour les danseurs, d'une part parce que interpréter ce mythe universel relève souvent du rêve pour eux, et d'autre part parce que la majorité de la troupe y trouve son compte. «Il y a deux distributions et plusieurs rôles clés: neuf pour les hommes et quatre pour les femmes, donc 70 % de la compagnie joue un rôle important, note le directeur. Et les danseurs le dansent si bien... Ils vont grandir encore dans leur interprétation.»

Mariage réussi

Peut-on vraiment reprocher au directeur d'avoir concocté, pour les 50 ans de l'institution, une saison prudente, truffée de reprises et de valeurs sûres? M. Pankov répondra de toute façon qu'il a conçu une programmation fidèle au mariage contemporain-classique qu'il a toujours défendu. Les créations intégrales plus audacieuses n'ont certes pas manqué depuis que M. Pankov est en poste.

«On a changé le répertoire et l'image de la compagnie en créant de nouvelles expressions corporelles basées sur des histoires tirées de la tradition.» Le triomphe de la troupe à l'étranger en témoigne.

La saison anniversaire s'annonce pour le moins colorée, surtout depuis la légère modification du programme printanier. Une fois passé le cap des Fêtes autour du Casse-Noisette, la compagnie Alvin Ailey répandra la modern dance américaine à son meilleur. Puis le retour de Polyphonia, du jeune Américain Christopher Wheeldon, et de Forgotten Land, de Jiri Kylian, sera finalement accompagné d'une création fraîchement commandée au chorégraphe sino-américain acclamé l'an dernier: Shen Wei. Et la visite inédite de l'Italien Mauro Bigonzetti, qui livrera lui aussi une création aux GBC, ne manque pas de piquer la curiosité.

Enfin, la troupe montréalaise vivra un moment émouvant pour conclure sa saison: un au revoir à sa danseuse étoile Anik Bissonnette, membre de la compagnie depuis 17 ans. Avec la démission récente de l'autre première danseuse, Geneviève Guérard, et la «promotion» de la soliste Mariko Kida, les GBC vivent en quelque sorte, à 50 ans, un nouveau départ...

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