Danse - Le courage de dire

Dans Courage mon amour, Hélène Blackburn donne la parole à ses danseurs pour la première fois, petite audace qui, jointe à la présence de deux violonistes sur scène, donne un autre rythme à son travail chorégraphique. Courage mon amour semble alors la douce rengaine d'un danseur à son partenaire ou à son propre corps, chuchotée afin de voir jaillir la beauté de la danse, même quand elle émerge de la douleur.

«J'ai l'immense chance de porter en moi des fragments de trente et une oeuvres d'art.» «Je doute, j'ai mal, je suis pauvre.» «Quand je danse, l'invisible devient visible.» Ces phrases, énoncées (en français, en anglais et en italien) par les danseurs comme des confidences profondément émouvantes, drôles et légères marquent des temps d'arrêt à la danse toujours aussi gracieusement athlétique de Blackburn.

Dire est déjà un acte de courage de la part des danseurs qui n'ont habituellement pas la même aisance avec les mots qu'avec les gestes. Dire pourquoi danser devient pourtant, ici, la chose la plus naturelle du monde, quoique en bout de piste, le pourquoi de la danse demeure aussi indicible que la danse elle-même.

Le défi est donc relevé grâce, entre autres, à un choix judicieux: celui d'envelopper les paroles de gestes expressifs, inspirés du langage signé des malentendants, qui donnent une belle assurance aux danseurs.

La danse qui s'ensuit corrobore en quelque sorte les témoignages, parfois avec humour et toujours avec un abandon total. Si la grande force de Blackburn se trouve dans cette capacité à fusionner les corps en duo, la récurrence des danses de couples, avec leurs battements de jambes distinctifs et leurs corps-à-corps fougueux, tend parfois vers une redite chorégraphique un peu lassante. D'autant plus que les solos et quelques trios proposent une gestuelle intrigante qui rivalise tout à fait avec la forme du duo.

Mais une fraîcheur fort agréable se dégage de Courage mon amour. Elle dérive, d'une part, du dialogue heureux entre la danse fluide et les airs contemporains de violon et, d'autre part, entre les danseurs, dont la tendresse est débordante, et le public, généreux. Cette fraîcheur décuple l'émotion intrinsèque du mouvement, ce qui fait d'ailleurs toute la puissance de la danse chez Blackburn.

Imbroglios amoureux

En guise de prélude à la nouvelle création d'Hélène Blackburn, le jeune chorégraphe Pierre Lecours présente L'Hérésie, donnant ainsi le coup d'envoi au projet d'achat d'oeuvres auprès de chorégraphes en émergence, élaboré par Cas Public.

Version remaniée de L'Hérétique qu'on a pu voir à Tangente l'an dernier, L'Hérésie est savamment dosée d'absurde, d'humour, et elle aussi ponctuée de dialogues ou de monologues adressés au public. La pièce de Lecours, aussi danseur pour Cas Public, fait, défait et refait l'impossible équation des relations amoureuses au gré de pas de deux et de pas de trois éloquents, parfois proches du

tango.

La filiation avec le Blackburn est indéniable, mais le chorégraphe parvient tout de même à déployer un style propre et un rare sens du rythme.

Le jeu dramatique est habilement mené, mais la verve chorégraphique du jeune créateur semble un peu brimée par la brièveté de la pièce, si bien qu'on y perd le fil des hérésies annoncées. La musique, riche en paroles — chose rare en danse par les temps qui courent — et propre à la génération du chorégraphe, contribue certainement au charme de la pièce, elle aussi placée sous le signe de la fraîcheur.

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