Cinéma - Au-delà de la Bible ou du Coran...
Une certaine image d'austérité est sans cesse accolée à l'islam ainsi qu'au monde arabe; les femmes y semblent emprisonnées dans leur burqa, ou sous leur hidjab, et n'ont d'identité, voire d'existence, qu'à travers ces longs morceaux de tissu. La réalisatrice Ruba Nadda, née à Montréal d'une famille d'origine syrienne installée à Toronto quelques années après sa naissance, effectue dans Sabah une sorte de «strip-tease» culturel, une tentative colorée de dévoiler la face cachée, et souriante, de la communauté arabo-musulmane.
Pourtant, le sourire semble depuis longtemps disparu du visage de Sabah (Arsinée Khanjian), une femme broyée par les responsabilités familiales, consacrant sa vie au mieux-être de sa mère veuve et malade, et recevant quelques maigres dollars pour sa peine de son frère Majid (Jeff Seymour), qui respecte de manière scrupuleuse les principes les plus machistes de sa religion. En cachette de tous, telle une criminelle, elle s'offre des moments de détente à la piscine publique. Elle y fait la connaissance de Steven (Shawn Doyle), un menuisier très bien de sa personne, qui a comme seul, mais immense, défaut d'être un non-musulman. Déchirée entre sa passion naissante, sa toute première, et son dévouement servile qu'elle croyait immuable, Sabah devra choisir; peu importe sa décision, celle-ci sera lourde de conséquences, prétexte à une foule de vérités cachées enfin dévoilées.Ruba Nadda, qui connaît cette culture de l'intérieur et dont les résonances sont parfois largement autobiographiques, en montre les aspects rétrogrades (dont la pratique des mariages arrangés) mais aussi d'autres plus fantaisistes, et surtout plus sensuels. De la nourriture (le générique d'ouverture est particulièrement appétissant) aux vêtements en passant par la danse et la musique, la cinéaste, avec des moyens modestes (et un tournage bouclé en 20 jours), célèbre la beauté de ces femmes voilées se révélant plus extraverties dans l'intimité de leur demeure.
Rapide et libérateur
Le cheminement psychologique de Sabah, la figure centrale du film portée avec une admirable aisance par Arsinée Khanjian, s'avère aussi rapide que libérateur. D'une femme effarouchée, écrasée par le poids des responsabilités, elle se transforme (à une vitesse un peu trop foudroyante) en être libéré de ses chaînes familiales, une tentative d'émancipation dont les répercussions se feront sentir sur tous les membres de ce clan réfugié dans un silence névrotique. Au milieu de tous ces personnages, dont celui de la mère, aux limites de la caricature, Steven apparaît comme un bel objet sans mystère, le garçon raisonnable, typiquement canadian, si ce n'est que son atelier est encombré de croix, symbole d'une importance visuelle quelque peu exagérée...
Il y un véritable aspect conte de fées dans Sabah, une touche quasi magique dont la réalisatrice ne renie nullement la forme délicieusement idéalisée. Consciente des nombreux clichés à abattre dans la tête du spectateur pour qui les aspects plus quotidiens de la culture arabe ne sont pas familiers, elle refuse de s'engager dans la voie du pessimisme et de la fatalité, donnant à la finale de son film un air de fête sans doute un peu trop forcé. Nonobstant cette conclusion rose bonbon, où les conflits sont aplanis à la vitesse de l'éclair, Sabah écarte bien des préjugés du revers de la main, réconciliant traditions ancestrales et désir de modernité, respect de la famille et... besoin viscéral de pouvoir s'en échapper. Et ce peu importe que celle-ci se revendique de la Bible ou du Coran...
Collaborateur du Devoir
Sabah
Réalisation et scénario: Ruba Nadda. Avec Arsinée Khanjian, Shawn Doyle, Fadia Nadda, Jeff Seymour. Image: Luc Montpellier. Montage: Teresa Nannigan. Musique: Geoff Bennett, Longo Hai, Ben Johannesen. Canada, 2005, 90 min.