Cinéma - Une leçon pour parents gâteaux et enfants-rois

Depuis Batman en 1989, Tim Burton, de loin le plasticien du cinéma le plus original de sa génération, s'est amusé à revisiter, voire à réinventer, les histoires qui ont marqué son imaginaire d'enfant. Sa filmographie, à cet égard, commence à ressembler à un inventaire des mythes, contes et légendes fondateurs chez l'Américain junior: Batman, Sleepy Hollow, Mars Attacks!, Planet of the Apes. À cette liste s'ajoute aujourd'hui Charlie and the Chocolate Factory, son onzième long métrage, tiré d'un roman jeunesse de Roald Dahl paru en 1964. Burton avait alors six ans.

L'enfant qu'il est devenu depuis n'a rien perdu de sa fascination pour cet ouvrage, qu'il transpose ici dans un décor féerique et baroque, noyau dur d'un bonbon, hélas, un peu trop mou, un peu trop générique. Cet hommage à l'imagination, à la détermination individuelle et à la force des liens filiaux semble en effet plus proche des univers de Charles Dickens et du Dr Seuss que de celui d'Edward Scissorhands, bateau phare de l'univers Burton.

Le petit Charlie du titre, joué par l'extraordinaire Freddie Highmore (le Peter Pan de Finding Neverland), est l'enfant unique de parents pauvres comme Job (Noah Taylor et Helena Bonham-Carter), qui partagent leur chaumière misérable avec leurs parents, en permanence alités en quatuor en plein milieu de la pièce principale. Dans cet environnement modeste mais aimant, Charlie a appris à reconnaître la providence quand elle frappe à la porte. Lorsque l'enfant décroche le cinquième et dernier billet d'or d'une tombola mondiale lui permettant de visiter la chocolaterie de Willie Wonka, lui comme les siens savent que sa vie vient de basculer. Fou de joie, son papy (David Kelly), ancien ouvrier de la chocolaterie, l'accompagne.

De bonnes dispositions

Burton, vous l'aurez compris, nous met dans d'excellentes dispositions, par un récit où la force du coeur l'emporte sur la puissance matérielle. Si bien d'ailleurs qu'on s'attendait presque à rencontrer, une fois le seuil de la chocolaterie franchi, un proche parent d'Edward aux mains d'argent. Or c'est une sorte de Michael Jackson, inquiétant et dédaigneux, campé par un Johnny Depp au faciès plastifié, qui ouvre la porte et invite les enfants, accompagnés d'un parent, à visiter son univers où personne n'a pénétré depuis des années.

C'est à ce stade, en suspension entre Blanche-Neige et Cocteau, que le scénario de John August (Big Fish), s'il ne s'arrête complètement, stagne dangereusement. Le phénomène est d'autant plus apparent qu'à la direction artistique, Burton a mis les bouchées doubles afin que chaque nouvel environnement de ce biodôme de la sucrerie (la rivière de chocolat, le syphon aux rayures de sucre d'orge, etc.) soit plus spectaculaire que le précédent, non sans nous arrêter ici et là devant le spectacle de lutins ouvriers lancés dans quelque numéro de danse. Si bien que la visite, peu riche sur le plan dramatique, a le goût nougaté d'un divertissement d'entracte, ou d'un jeu anodin, au cours duquel les enfants seront éliminés un à un, jusqu'à la sortie où le dernier candidat encore en action recevra un prix-mystère.

En redonnant vie à ce conte un brin archaïque, Burton, en jeune papa nostalgique de son innocence d'autrefois, a voulu donner une leçon aux parents gâteaux et aux enfants-rois. Message reçu. Du reste, si le film met en valeur, et au défi, son savoir-faire visuel, l'extraordinaire fabuliste en lui affiche quelques signes de fatigue. Il manque à son Charlie and the Chocolate Factory la limpidité et la simplicité de Big Fish ainsi que l'impertinence toujours un peu funèbre de son humour. Attendu fin septembre, Corpse Bride, son film d'animation dans l'esprit et la manière de Nightmare Before Christmas, devrait, on l'espère, rajuster le tir.

Collaborateur du Devoir

Charlie and the Chocolate Factory (Charlie et la chocolaterie)

De Tim Burton. Avec Freddie Highmore, Johnny Depp, Helena Bonham-Carter, Noah Taylor, David Kelly. Scénario: John August, d'après le livre de Roald Dahl. Image: Philippe Rousselot. Montage: Chris Lebenzon. Musique: Danny Elfman. États-Unis, 2005, 116 minutes.

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