Viens faire un tour dans ma limo

Peu importe où elle se trouve, une limousine ne passe jamais inaperçue, et c'est encore plus vrai lorsque celle-ci fait figure de pièce de collection, de relique d'une autre décennie défiant les intempéries, les obstacles de la route... et le prix de l'essence qui grimpe en flèche. Imaginez alors deux Israéliens débarquant en Allemagne au volant d'une telle bagnole, pas tant pour se pavaner que pour la revendre avec (gros) profit. Les affaires ont beau être les affaires, quand les tragédies de l'Histoire s'entremêlent aux négociations, une embardée est toujours possible.
Dans Metallic Blues, du cinéaste israélien Dan Verete, elles sont nombreuses, parfois prévisibles ou encore amusantes, parfois d'une tristesse indicible. Et alors que le film semble vouloir s'engager dans la direction de la comédie débridée, en mettant en scène deux personnages à la Abbott et Costello (déguisés ici en «vendeurs de chars d'occasion»), Metallic Blues s'imprègne peu à peu de la grisaille hivernale allemande, atmosphère lugubre assortie de décors industriels, éléments propices aux réminiscences liées à l'horreur nazie. Et pourtant, Shmuel (Avi Kushnir, d'une arrogance amusante), issu d'une famille de survivants de l'Holocauste, se croit prêt à affronter les descendants des bourreaux nazis pour leur soutirer quelques milliers d'euros.Dans cette aventure, il entraîne son partenaire Sisso (Moshe Ivgy, attendrissant de naïveté), époux prévenant et père attentionné, moins convaincu que son partenaire que la limousine qu'ils ont achetée à prix d'or à un Arabe (et immatriculée au Québec!) en vaut le triple en Allemagne. Leur arrivée ne passe pas inaperçue, éveillant les soupçons de la police; ce qui s'annonçait comme un rapide voyage d'affaires se transforme en long cauchemar. Car après avoir mené la vie de nouveaux riches, les deux comparses, l'un terriblement prétentieux et l'autre quelque peu froussard, accumulent les déceptions et les ennuis, brûlant au passage quelques feux rouges et leurs dernières économies.
Pas tout à fait un road-movie, et encore moins une comédie débridée sur les chocs culturels, Metallic Blues pourrait bien être un peu tout cela s'il suivait, avec discipline, la ligne blanche des règles du genre. Assorti de nombreuses ruptures de ton, comme autant d'arrêts au puits d'essence, le film se laisse difficilement accoler une seule étiquette, tantôt jouant sur le caractère disparate des deux protagonistes, tantôt tirant, avec excès, sur la corde sensible des rapports toujours tendus entre Allemands et Juifs. Ceux-ci sont illustrés de manière parfois fort habile dans une série d'échappées imaginaires, où Shmuel se voit plongé dans une époque qu'il n'a pas connue mais que ses parents ne cessent d'évoquer depuis les 60 dernières années...
Au-delà de l'énormité du prétexte — de la grosseur d'une limousine! — et de cette frilosité du réalisateur à ne pas assumer, avec plus de franchise, le caractère comique, et surtout profondément dérisoire, de l'intrigue, Metallic Blues montre à quel point le passé ne cesse de brouiller, d'envahir le présent. Loin de céder à la haine congénitale (tout comme Eytan Fox dans Walk on Water), le cinéaste tend une main à l'ennemi d'autrefois, cherchant à construire un pont, ou du moins à aménager un terrain d'entente cordial. Tout cela grâce à une limousine américaine... dont finalement personne ne veut. Metallic Blues, film politique?
- V.o. avec s.-t.a.: Forum, Cavendish.
Collaborateur du Devoir