«Coeur de slush»: Le bleu est une couleur chaude

« Billie, c’est elle ! » s’exclame Sarah-Maude Beauchesne à propos de Liliane Skelly, qui crève l’écran dans le quatrième long métrage de Mariloup Wolfe (Jouliks, 2019). Non seulement l’actrice de 18 ans pourrait passer pour sa petite soeur, elle semble aussi posséder la candeur, la lucidité et la détermination de l’héroïne de Cœur de slush (Hurtubise, 2014), son premier roman et un succès de vente (30 000 exemplaires vendus !).
« Avant la première audition, il y a deux ans, je n’avais pas lu le roman, alors que toutes mes amies le connaissaient, raconte la nouvelle venue. Tout de suite après, je l’ai acheté et j’ai plongé dans l’univers de Sarah-Maude ; j’ai lu Les fourchettes, L’été d’avant, Au lac D’Amour… Il y a quelque chose de vraiment authentique dans ce qu’elle écrit, j’adore ça. Entre la première et la deuxième audition, j’ai aussi vécu des choses qui ont fait en sorte que je pouvais encore plus m’identifier à Billie. »
Si le film est fidèle au roman, Sarah-Maude Beauchesne a tout de même déplacé l’action au début de l’été, rajeuni d’un an les personnages et mis l’accent sur la rivalité entre Billie, toujours friande de slush à la framboise bleue, et sa soeur aînée, la parfaite Annette (Camille Felton).
« Même si Billie est plus tardive que les autres, je trouvais qu’en 2023, les propos colleraient mieux à des personnages plus jeunes. En ramenant l’action à l’été, j’évacuais le cégep et pouvais me concentrer sur le parc aquatique, qui est un univers particulier et visuellement intéressant qu’on ne voit pas souvent dans les films d’ados. Plein de choses peuvent se passer, même quand le parc est fermé », explique Mariloup Wolfe.
« Je n’avais jamais scénarisé de ma vie et je ne savais pas comment adapter mon roman, alors les premières versions étaient très collées au livre. Ça ne marchait pas, ça ne levait pas, je ne trouvais pas le ton. À un moment donné, j’ai eu une rencontre avec Valérie Beaugrand-Champagne, qui m’a dit de me concentrer sur les deux soeurs. Et là, ç’a déboulé ! J’ai eu beaucoup de plaisir à me détacher du roman parce que ça m’a permis d’approfondir certains sujets » , raconte la scénariste.
Ainsi les deux jeunes filles auront-elles le béguin pour le champion de vélo Pierre Forêt (Joseph Delorey), c’est-à-dire « le blond pépites-d’or-golden-retriever aux yeux bleu ciel-tempête-de-neige-stylo-à-bille », comme il est décrit dans le roman par Billie, qui voudrait bien qu’il soit son premier amant. Quant à Annette, à qui aucun garçon ne résiste, on soupçonne que c’est pour rendre jaloux Émile (Jacob Whiteduck-Lavoie), qui vient de la plaquer sous prétexte qu’il est son patron au parc aquatique.
Ces légères modifications auront aussi permis de mettre davantage en avant les inséparables copines de Billie, Rosine (Salma Serraji), qui n’aime pas le sexe autant qu’elle l’aurait cru, et Juliette (Vivi-Anne Riel), qui en pince pour Annette. Si l’absence de la mère est peu abordée, le père, interprété par François Létourneau (« Il ressemble tellement à mon père ! » confie l’autrice), seul adulte ayant survécu au passage du livre à l’écran, soigne toujours sa peine d’amour, tout en essayant de suivre les tribulations sentimentales et sexuelles d’Annette et de Billie.
Pour moi, ç’a été une grosse partie du voyage de constater qu’on faisait œuvre utile
Bleu piscine
S’il y a un élément auquel Sarah-Maude Beauchesne tenait mordicus, c’était la voix de Billie, afin de préserver la poésie du roman. « Il ne fallait vraiment pas bouder l’origine littéraire de Cœur de slush. C’est une époque de ma vie où j’ai écrit tellement de poésie. D’ailleurs, au Festival de Zlín, en République tchèque, où le film a été présenté en ouverture, l’une des premières questions est venue d’une fille d’environ 14 ans qui voulait savoir qui avait écrit les poèmes. C’est là qu’on voit que la poésie peut tout transcender. »
« Dans le film, on traite subtilement de petites choses qui sont importantes pour moi, qui font partie de mon quotidien, de ma littérature, poursuit la scénariste. En regardant le film avec les ados, c’était vraiment un beau sentiment de se dire que c’était peut-être la première fois qu’ils entendaient parler de menstruations de manière positive, de consentement, d’homosexualité… Pour moi, ç’a été une grosse partie du voyage de constater qu’on faisait oeuvre utile. Ça m’a vraiment émue. »
Pour illustrer les moments poétiques, Mariloup Wolfe a créé des scènes aquatiques oniriques, dont celle où Billie constate qu’elle a ses premières règles, avec l’accord de la romancière. « Dès le premier plan, j’ai voulu installer l’imagerie de chacune des pensées de Billie, mais sans qu’on sache tout de suite de quoi il s’agit afin d’être dans la poésie de la narration avant de couper pour revenir à la réalité. J’ai aussi proposé à Sarah-Maude la scène du karaoké, qui n’était pas dans le roman, pour traduire comment Billie se sentait dans son histoire d’amour. On s’est amusées à composer des tableaux avec le rouge et le bleu. Quand elle est en danger, c’est beaucoup plus rouge au niveau de la lumière ; quand elle est bien, c’est le bleu. Au karaoké, les deux couleurs se côtoient. »
Pour la jeune actrice, les scènes aquatiques, qui ont demandé beaucoup d’entraînement, ont été plus difficiles à tourner que les scènes plus intimes. « La scène avec Pierre a été préparée des mois à l’avance et tournée dans le plus grand respect, avec la coach d’intimité Roxane Néron. C’était super-important de montrer que ce n’est pas tout beau et que, comme dans la vie, il y a des malaises. Pour d’autres scènes avec Pierre où il y a de la gêne, Sarah-Maude et Mariloup m’ont suggéré de regarder des séries comme Heartstoppers sur Netflix. »
Charme intemporel
Avec Sarah-Maude Beauchesne, Mariloup Wolfe s’est plu à créer l’esthétique du film en échangeant avec elle des centaines de photos sur leur compte Pinterest. Si une chanson de Joe Dassin se trouvait déjà dans le roman, elle a accentué la dimension nostalgique du récit en y ajoutant des succès de Pierre Lalonde et des Turtles.
« Je désirais que ce soit un peu intemporel, ramener des références visuelles vintage pour que tout le monde s’y retrouve. Je ne voulais pas miser trop sur le style musical du moment, la mode du moment, parce que je ne voulais pas que tout soit out dans deux ans. Tout ça est un mélange un peu hétéroclite qui va permettre au film de mieux vieillir et d’élargir le public cible », croit la réalisatrice.
« J’aimais beaucoup l’aspect rétro parce qu’au fond, les modes vestimentaires et musicales de l’ancien temps reviennent tout le temps, dit Liliane Skelly. J’espère que cet aspect-là va autant toucher les jeunes que les adultes. On a besoin de plus de films comme Cœur de slush, pour son authenticité, son intériorité et sa poésie. »
Mariloup Wolfe espère que Cœur de slush rencontrera son public, puisque Sarah-Maude Beauchesne travaille déjà au scénario de Cœur de slush 2, lequel combine les deux autres tomes de la trilogie, « Lèche-vitrines » (2022), où Billie s’est installée à Montréal avec sa soeur et sa mère en espérant oublier Pierre, et « Maxime » (2022), où Billie et Rosine deviennent colocs.
« Est-ce que nos jeunes, qui sont sur Netflix et TikTok, vont volontairement se déplacer pour aller voir le film ? Je n’en ai aucune idée, mais je sais qu’il y a des salles sold out pour les premières. Mais c’est peut-être grâce au fan-club de Camille Felton… Est-ce que ça va se refléter dans les semaines suivantes ? Je n’en ai aucune idée, mais j’ai super hâte de voir, parce que c’est peut-être ça qui va faire en sorte qu’on va financer plus de films pour ados », conclut Mariloup Wolfe.