«Les enfants des autres»: être mère, mais pas tout à fait

Rachel, la jeune quarantaine épanouie, est une enseignante à qui le célibat ne pèse pas. Par hasard, elle fait la connaissance d’Ali. Entre eux naît un amour aussi spontané que pas compliqué. Avec la même aisance, Rachel s’investit auprès de la petite Leila, la fille de 5 ans d’Ali, qui lui rend avec bonheur son affection. Alors que son médecin la prévient qu’il est moins une, Rachel et Ali décident de concevoir un enfant, en vain. Pendant ce temps, Alice, l’ex avec qui Ali demeure en bons termes, n’est jamais loin… Très autobiographique, Les enfants des autres, de Rebecca Zlotowski, brosse un portrait de femme d’une infinie délicatesse.
« Il s’agit de mon cinquième long métrage, mais c’est le premier à avoir un fondement aussi intime. C’était un nouveau paradigme pour moi, parce que je n’avais jamais créé à partir de ma vie privée. J’ai mis beaucoup de temps à me donner cette permission-là, à me dire que ce pourrait être intéressant », confie la réalisatrice lors d’un entretien qui s’est tenu à Paris en janvier dernier.
Tout commença par un désir d’adapter un roman de Romain Gary, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, dont le protagoniste se découvre impuissant. Or, à la surprise de la cinéaste, le sujet résonna en elle d’une manière inattendue. C’est ce qui la poussa sur ladite avenue autobiographique.
« Ce sujet de l’impuissance masculine s’est transposé en moi… C’était comme un écho à ma propre impuissance en tant que femme qui ne pourrait potentiellement plus avoir d’enfant. Ce moment où on approche de la quarantaine, où on n’a pas d’enfant, mais qu’on élève d’autres enfants, et qu’on s’attache trop à eux… J’ai constaté que nous étions plusieurs. »
Belle-mère à l’avant-plan
Cet aspect, à savoir que d’autres femmes pourraient se sentir interpellées, était fondamental pour Rebecca Zlotowski. Comme elle nous l’explique, pour qu’un sujet s’impose à elle, trois facteurs doivent être réunis.
« Il faut que ce sujet, sans être nécessairement autobiographique, me touche personnellement, qu’il ne concerne pas que moi, et qu’il pose une question de cinéma. J’ai cherché dans le paysage cinématographique un tel personnage, une telle situation, et je n’en ai pas trouvé : c’est ce que j’entends par une question de cinéma. Il n’y avait pas de représentation de cette femme-là, autre que des images un peu datées de belles-mères. »
Des productions de Disney aux films hollywoodiens traditionnels comme Stepmom (La blonde de mon père), que mentionne la réalisatrice, la figure de la belle-mère, même quand elle n’est pas une marâtre, est, de fait, souvent stéréotypée.
« C’est en outre un personnage qui est toujours un peu derrière, à l’arrière-plan. Et je me suis dit, tiens, je vais le faire passer à l’avant-plan : la belle-mère sera l’héroïne du film. »
Ce sujet de l’impuissance masculine s’est transposé en moi… C’était comme un écho à ma propre impuissance en tant que femme qui ne pourrait potentiellement plus avoir d’enfant. Ce moment où on approche de la quarantaine, où on n’a pas d’enfant, mais qu’on élève d’autres enfants, et qu’on s’attache trop à eux… J’ai constaté que nous étions plusieurs.
Sans inhibition
Lorsqu’on lui demande si la nature autobiographique du projet changea quelque chose à sa façon d’écrire, Rebecca Zlotowski opine avec enthousiasme.
« D’habitude, je m’aventure dans des univers complètement étrangers à moi : un circuit de motos [Belle épine], une centrale nucléaire [Grand Central]… Cette fois, peut-être était-ce dû au confinement pandémique et au fait que j’étais seule face à moi-même, je suis allée explorer à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur. »
La cinéaste admet avoir dû vaincre au départ une certaine pudeur. Ce que la rédaction en solo facilita.
« Il faut savoir que j’adore écrire à deux, voire à trois. Ce film-ci, je l’ai écrit seule. Donc, c’était facile d’écrire tout de suite des choses très intimes, car j’étais l’unique lectrice. Une fois que j’ai osé, ç’a été extraordinairement facile à écrire. »
Rebecca Zlotowski parvint ainsi à se raconter sans inhibition, mais tout en usant d’une part de fiction.
« Il y a plein de trucs inventés, mais j’ai conçu ce personnage très près de moi, avec peu de distance : tout ce que vit le personnage est proche de ce que j’ai vécu. Tous les lieux où j’ai tourné, des parcs aux chambres d’hôtel en passant par les cafés, sont des endroits dans lesquels je suis allée. Ce n’était pas par fétichisme : ayant écrit avec ces lieux-là en tête, j’ai pensé qu’il serait plus simple de les utiliser. »
Dans le rôle de Rachel, Virginie Efira (Adieu les cons,Benedetta) est splendide, bouleversante.
« Sachant que dans ce film, je me confiais, en quelque sorte, et que je n’en avais pas l’habitude, Virginie a reçu le rôle avec beaucoup de tendresse, je pense. Ensuite, pour ses recherches, elle n’avait qu’à me regarder », lance Rebecca Zlotowski en riant.
« Je plaisante, mais pas tant que ça. En même temps, Virginie était aussi dans la création d’un personnage, et moi, j’avais désormais un recul. »
Surprise et émue
Un recul qui s’explique par un événement complètement imprévu et paradoxal. De révéler la cinéaste :
« Alors que je m’apprêtais à commencer le tournage, c’est incroyable, mais je suis tombée enceinte. J’ai tourné ce film enceinte. Par conséquent, j’étais soudain très loin de ce personnage qui, tout récemment encore, était ma copie conforme. Ça m’a donné une saine distance ; je n’avais plus le nez collé sur le sujet. »
Sachant cela, et considérant qu’il s’agissait pour elle d’une incursion inédite en contrées autobiographiques, comment Rebecca Zlotowski réagit-elle lorsqu’elle vit son film fini ?
« On construit un film pendant si longtemps, en franchissant tellement d’étapes, qu’il n’y a pas un moment de grand recul par rapport au film terminé. Il n’empêche, en voyant la version finale, j’ai eu un choc, mais de courte durée. J’ai surtout été ébranlée par la charge émotionnelle du film. Je me suis rendu compte que je m’étais permis d’être très sentimentale, moi qui suis si cérébrale, si analytique… J’en ai été surprise. Et émue. »
Le film Les enfants des autres prendra l’affiche le 16 juin. François Lévesque était à Paris à l’invitation des Rendez-vous Unifrance.