«Les miens»: être soi-même en étant quelqu’un d’autre

Parfois, il arrive qu’une personne proche agisse d’une manière vraiment surprenante, voire choquante. C’est une situation somme toute banale. Le cas échéant, la phrase « Je ne te reconnais plus » est souvent utilisée par l’entourage. Mais que se passe-t-il du côté de celle ou celui « qu’on ne reconnaît plus » ? C’est à cette question que s’attarde Les miens, de Roschdy Zem, qui s’est inspiré d’événements survenus dans sa propre famille pour concevoir un film étonnamment universel dans ses constats.
Le protagoniste se prénomme Moussa (Sami Bouajila). Divorcé et père de deux jeunes adultes, Nesrine (Nina Zem) et Amir (Carl Malapa), il s’est remarié, mais sa seconde épouse vient de le plaquer sans explication ni retour d’appels. Toujours prête à aider, ou à gérer, c’est selon, Samia (Meriem Serbah), la soeur de Moussa, n’est jamais loin. Idem pour Salah (Rachid Bouchareb), leur frère.
En revanche, leur autre frère, Ryad (Roschdy Zem), est pour sa part rarement dans le décor, pris qu’il est par sa notoriété télévisée.
Au début du film, Moussa est présenté comme quelqu’un qui opine et accepte tout sans broncher : la désinvolture avec laquelle ses enfants lui pompent de l’argent, l’ingérence bienveillante de sa soeur, tout un chacun qui parle volontiers à sa place…
Un soir, après une fête entre collègues, Moussa fait une mauvaise chute et subit une importante commotion cérébrale. À son réveil à l’hôpital, il n’est plus le même, autant au propre, avec son front enflé qui le défigure, qu’au figuré, avec son attitude changée du tout au tout.
Car le voici, qui non seulement n’accepte plus qu’on se mêle de ses affaires, mais qui se querelle et se brouille avec tout le monde ou presque.
Alors que sa famille s’émeut et s’inquiète devant ce Moussa qui n’est pas « le leur », seul Ryad prend le parti de voir du positif dans la situation. Prenant le contre-pied des autres, ce dernier encourage en effet Moussa à s’exprimer plutôt qu’à se réprimer comme il l’a fait sa vie durant.
Dramatiquement et psychologiquement parlant, tout cela est très riche.
Franchise et équité
Ce l’est encore davantage du fait que Moussa, désormais dénué de tout filtre social, énonce à répétition des vérités douloureuses ou gênantes. Ce faisant, il agit comme agent révélateur auprès « des siens », qui, sans crier gare, sont soudain forcés de se remettre en question.
Le scénario est en cela finement observé, et aussi franc qu’équitable dans sa présentation des personnages : personne n’est tout bon ou tout méchant, rien n’est tout noir ou tout blanc.
La mise en scène de Roschdy Zem, peu voyante à dessein, privilégie de longues prises où les gens se révèlent comme à leur insu, au détour d’un silence prolongé où d’une expression fugace.
À noter que l’acteur-cinéaste, par souci d’instaurer une certaine distance, compte tenu de la dimension autobiographique du récit, comme il nous l’expliquait en entrevue, a coécrit le scénario avec Maïwenn (qui incarne Emma, la conjointe désenchantée de Ryad). C’est là une décision heureuse, Les miens transcendant ainsi l’anecdote pour accéder à cette universalité évoquée d’emblée. Une excellente surprise que ce film.