«Le serment de Pamfir»: père, sourcier, contrebandier et démon

Leonid est de retour dans son village des Carpates ukrainiennes après un périple de contrebande en Pologne. Il retrouve avec bonheur sa femme, Olena, et leur fils, Nazar. Mais voici qu’au moment même où Leonid entendait renoncer à ses à-côtés criminels, une coûteuse gaffe de Nazar le pousse à accepter ce proverbial « dernier coup » dont on sait qu’il ne peut que mal se terminer.
Film de gangsters en contexte rural porté par une performance captivante d’Oleksandr Yatsentyuk et une réalisation — sa première — non moins fascinante de Dmytro Soukholytky-Sobtchouk, Le serment de Pamfir a l’heur d’envoûter.
Le titre renvoie en l’occurrence à l’ancien nom de guerre de Leonid, Pamfir, mot désignant un type de pierre. C’est approprié puisque le protagoniste, tout conjoint et père aimant est-il, exsude une énergie fruste, primaire. D’ailleurs, il sera, en cours d’intrigue, associé à tous les éléments : à la base un sourcier, ou divinateur d’eau, il émerge à un moment d’un sol boueux, enseigne une respiration guerrière à son fils… Ceci alors qu’un incendie est à l’origine de sa périlleuse mission.
Laquelle mission consiste à passer des cartouches de cigarettes en territoire roumain adjacent. Le hic ? Le contrebandier doit, ce faisant, traverser une forêt sur laquelle règnent un dangereux criminel et ses sbires. Cela donne lieu à une séquence de combat saisissante. Le style hyperdynamique, très fluide et immersif de Dmytro Soukholytky-Sobtchouk, qui n’est pas sans rappeler celui de Park Chan-wook dans sa Trilogie de la vengeance, n’est jamais autant mis à contribution que dans ce passage.
Quoiqu’en amont, d’autres plans-séquences, comme celui où Leonid et sa mère courent en riant avant de se laisser choir dans un tas de feuilles mortes, attestent un goût pour la poésie visuelle et les compositions soignées.
Une aura fantastique
Une autre grande qualité du film réside dans l’atmosphère qu’y forge le jeune cinéaste. De fait, lorsque Leonid retrouve les siens au commencement, on s’apprête à fêter au village le Malanka. Lors de ce carnaval d’hiver, les hommes enfilent masques démoniaques et capes de paille, puis libèrent les élans destructeurs qu’ils ont réprimés durant l’année.
Même si aucun événement d’ordre surnaturel ne survient, une aura fantastique plane sur l’action, tantôt diffuse, tantôt palpable.
Outre qu’il est remarquablement bien maîtrisé (Soukholytky-Sobtchouk a réalisé un documentaire sur le Malanka en 2013), ce parti pris permet au film d’accéder à une dimension quasi surréelle où extravagance formelle et vraisemblance narrative s’accordent. Lors des scènes sylvestres, tout de troncs hérissés, on se croirait dans un conte de fées halluciné…
Hormis celle de Park Chan-wook, on discerne de-ci, de-là les influences d’Andreï Tarkovski (Stalker dans l’église brûlée, L’enfance d’Ivan dans les bois) et d’Elem Klimov (Requiem pour un massacre, par l’entremise de gros plans d’Olena, vers le dénouement). C’est dans la fusion desdites influences, jumelée à la forte personnalité artistique que possède manifestement Dmytro Soukholytky-Sobtchouk, que résident l’originalité et le pouvoir hypnotique du film.
Tourné à la veille du conflit avec la Russie, Le serment de Pamfir pourra être perçu comme une métaphore patriotique : Leonid est le fier et fort représentant de l’Ukraine, tandis que le vil et omnipotent chef mafieux renvoie à Poutine. Cette lecture se défend, mais elle ramène le film à des considérations, si tragiques soient-elles, terre à terre. En effet, Le serment de Pamfir transcende avec fureur et virtuosité le prosaïque pour mieux atteindre le mythique.