La Palme d’or à Justine Triet

Justine Triet devient la troisième réalisatrice sacrée de l’histoire du Festival de Cannes.
Christophe Simon Agence France-Presse Justine Triet devient la troisième réalisatrice sacrée de l’histoire du Festival de Cannes.

En octroyant sa Palme d'or à Anatomie d’une chute, le remarquable et palpitant film de la Française Justine Triet donnant la vedette à Sandra Hüller, le jury du Festival de Cannes dirigé par le Suédois Ruben Östlund couronnait au sommet en 76 ans d’existence une troisième réalisatrice. Et ce, en cette cuvée historique alors que les cinéastes femmes constituaient le tiers des effectifs d’une course fort bien relevée. L’actrice Jane Fonda, en lui remettant la statuette, a célébré le vent de changement qui souffle, déclarant que ce qui paraît historique aujourd’hui deviendra un jour tout à fait normal.

« Ce film est le plus intime que j’ai jamais écrit », affirmait la lauréate. Enfourchant le cheval de la dénonciation politique, elle a attaqué au Palais la réforme des retraites du président Macron et les manifestations : « Cette contestation des foules a été réprimée de façon choquante par un pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé », tonnait-elle, palme en main. Elle a condamné de concert la marchandisation de la culture par un gouvernement qui aurait cassé l’exception culturelle française.

On n’ira pas cracher dans la soupe du Palmarès. Il se révèle de bonne tenue, à l’image de cette 76e édition, franc succès, tant par sa sélection que par son faste. Le président du jury devant la presse a déclaré espérer qu’Anatomie d’une chute soit populaire. Ce film possède le potentiel de séduire le public et pourrait faire carrière en salles. La Palme doit avoir désormais une portée commerciale en plus d’une valeur cinéphilique pour se voir décernée.

Un des favoris de la course, le Britannique Jonathan Glazer avec le remarquable The Zone of Interest, abordant la Shoah à travers le quotidien du directeur du camp d’Auschwitz et de son épouse, oeuvre glaçante sur la banalité du mal donnant aussi la vedette à l’exceptionnelle Sandra Hüller, récoltait de son côté le Grand Prix du jury. Il avait reçu plus tôt le prix de la FIPRESCI, offert par le jury de la critique internationale.

Ainsi donc, l’Allemande Sandra Hüller, qui méritait tous les honneurs, actrice principale des deux films en domination de palmarès est repartie sans laurier, les règlements du festival ne permettant pas de cumuler les prix. Elle était néanmoins l’âme et la reine de cette cérémonie.

Le Prix de la mise en scène, plus imprévu tant le film a divisé ici la presse française, fut remis à Tran Anh Hung pour son film d’époque hommage à la gastronomie française, La Passion de Dodin Bouffant, avec en vedette Juliette Binoche et Benoit Magimel.

Le très zen et lyrique Perfect Days tourné à Tokyo par l’Allemand Wim Wenders, vrai bijou de ce festival n’aura pas reçu la Palme d’or. Mais le prix d’interprétation masculine, hautement mérité, a été décerné à Koji Yakusho dans le rôle principal. Sa performance magnifique en homme zen et philosophe, nettoyeur de toilettes à Tokyo, se sera révélée sans égale. Ce film a remporté par ailleurs le laurier oecuménique décerné par un jury parallèle.

Les herbes sèches du Turc Nuri Bilge Ceylan valut à la jeune actrice Merve Dizdar le laurier d’interprétation féminine pour son rôle de professeure handicapée pleine de sève, de dignité et de charme dans sa société machiste.

Les feuilles mortes du Finlandais Aki Kaurismäki, habité par une poésie et une ironie tout en références cinéphiliques et en silences, abordant la rencontre de deux solitaires à Helsinki, a reçu le prix du jury. Le coloré cinéaste, reparti en ses terres, a envoyé un message, louant ce festival qui continue de faire vivre le cinéma et lançant un sonore : « Merci et Twist and Shout ! », qui rendait la soirée moins guindée.

Monster du Japonais Hirokazu Kore-Eda, traitant de harcèlement scolaire et d’amours adolescentes sous différents points de vue, a valu à Sakamoto Kuji le prix du meilleur scénario pour la complexité et l’habileté de sa bonne histoire.

D’autres grands méritants, tels les Italiens Alice Rohrwacher et Nanni Moretti ou la Française Catherine Breillat sont repartis bredouilles du palmarès. Ces remises de prix sont aussi des loteries. Meilleure chance la prochaine fois !

La Caméra d’or qui récompense un premier long métrage, toutes sections confondues, fut octroyée à L’arbre au papillon d’or du Vietnamien Pham Thien An, présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Quant à La Palme d’or des courts métrages, elle a été remise à une femme cinéaste, Flora Ana Buda, pour son film 27. Les deux palmées d’or sont des réalisatrices cette année. Ainsi donc les choses changent, même au Festival de Cannes, conservateur par nature. On s’en félicite aussi. Bravo, les filles !

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