Le chant d’espoir de Ken Loach à Cannes

Le réalisateur Ken Loach, sur le tapis rouge vendredi, avant la projection de son film «The Old Oak»
Loïc Venance Agence France-Presse Le réalisateur Ken Loach, sur le tapis rouge vendredi, avant la projection de son film «The Old Oak»

On entend déjà le clap de fin sur cette Croisette. Le Marché a fermé ses portes il y a deux jours. Vendredi nous étaient présentés les derniers films de la course. Place à l’attente du palmarès, du dévoilement de samedi. Plusieurs festivaliers roulent avec leurs valises vers des destinations mystérieuses. Le beau temps aspire les résistants de la dernière heure sur les terrasses ensoleillées. Non, les manifestants de toute obédience n’ont pas fracassé les murs du Palais. Oui, une pluie de stars a déferlé sur des tapis rouges tout garnis. Bien des cinéastes et des têtes d’affiche américains se montraient plus radieux sur cette Côte d’Azur que dans leur Hollywood paralysé par la grève des scénaristes. En salles obscures, la cuvée se sera révélée, avec quelques bémols, de haute tenue. Le cinéma, en traversée de turbulences, s’est éclaté à Cannes comme en ses plus beaux jours. Ici, l’illusion fait vivre…

Dans la course à la Palme d’or, The Old Oak (Le vieux chêne), de Ken Loach, se voyait attendu avec une hâte fébrile, lors du dernier sprint de vendredi. Double palmé ici, en 2006 avec The Wind That Shakes the Barley et dix ans plus tard avec I, Daniel Blake, le cinéaste britannique a, comme on dit en France, son rond de serviette. Cannes aura présenté en un demi-siècle 18 de ses oeuvres, dont 15 en Sélection officielle. Le voir arriver au Palais, c’est s’incliner devant un homme de convictions, toujours poing levé. Modeste, refusant de s’asseoir sur ses lauriers, avec ses lunettes rondes, sa légendaire courtoisie, son engagement constant envers les damnés de la terre, cette figure tutélaire, doublée d’un excellent directeur d’acteurs, en impose.

Reste qu’à 86 ans, le gauchiste de la première heure pourrait lancer son chant du cygne. Une troisième Palme à l’horizon pour le doyen de cette compétition ? Chose certaine, nul n’a encore réalisé pareil fantasme.

The Old Oak, oeuvre sur la solidarité qu’il a coscénarisée avec son vieux complice Paul Laverty, a ému aux larmes plusieurs festivaliers par son cri d’espérance sur une planète troublée. Hélas ! Loach y appuie son message au crayon gras, quitte à verser parfois dans l’angélisme. Son histoire manque de nuances. Il aborde dans un village agonisant d’anciens mineurs la question de l’arrivée de réfugiés syriens, sujet d’irritation dans les chaumières, où la population tire le diable par la queue. Les préjugés haineux fleurissent chez les habitués du pub The Old Oak, dirigé par un ancien militant qui en a bavé (Dave Turner, formidable). Une jeune photographe syrienne gagne son amitié. Petit à petit, des liens se tissent entre ces humains aux berceaux différents, sous les ricanements des méchants de service criant vengeance.

Deux communautés en détresse aux cultures opposées peuvent-elles refaire le monde sur le lit du mal et du malheur ? Loach répondra oui, jusqu’à son dernier souffle. Ces êtres en heurts ou en partage traversent des tunnels noirs, mais les nombreuses scènes de solidarité claironnent l’arrivée du soleil. Ken Loach livre une oeuvre testamentaire moins complexe qu’à travers ses derniers films, qui éclaire une voie de lumière par-delà le chaos des polarisations actuelles. The Old Oak pourrait se voir récompensé comme tel au palmarès ou à titre de couronnement de carrière. Qui sait ? N’empêche, on l’a déjà connu aussi engagé, quoique plus délicat au tricot de ses intrigues.

La sorcière du septième art

 

C’est dans une communauté italienne pauvre et isolée que l’Italienne Alice Rohrwacher a campé La chimère, avec sa virtuosité habituelle, sa quête du bizarre et son goût des figures insolites. Déjà primée ici pour Les merveilles et Heureux comme Lazarro, elle vise de nouveau, à 36 ans à peine, la Palme d’or.

À travers l’esthétique de lumière et le brillant de sa mise en scène, la cinéaste capture la vie d’un groupe de pilleurs de tombes étrusques dirigé par un jeune Britannique (Josh O’Connor, vu dans la série The Crown). Cet homme au passé trouble possède le don de trouver les sites recouvrant des sépultures à l’aide d’une baguette de sourcier. La cinéaste traque les hantises et les illusions de ses personnages dans des scènes pleines de vie et de verve, en poétisant l’action sous les chants archaïques d’un troubadour. Le quotidien de paysans roués ou charmeurs devient lyrique. Quant aux ressorts secrets de l’étranger au profil ambigu, sans dieu ni maître, ils s’abîment dans le mystère. Les tombes et leurs trésors deviennent, à la lueur des bougies, des dédales magiques, hantés, féeriques autant que funestes. Alice Rohrwacher, fée ou sorcière du septième art, trop méconnue du grand public, est une cinéaste majeure qui récoltera certainement un jour ici la récompense suprême, qui lui pend, par son talent immense, au bout du nez.

Odile Tremblay est l’invitée du Festival de Cannes.

Palmarès fantôme

Composer un palmarès fantôme relève de l’exercice ingrat,
fatalement contredit par le jury. Comment jouer les oracles ?
Impossible. Seule autre option, vous offrir ma propre sélection, et vogue le navire… La voici donc :

Palme d’or Perfect Days, de Wim Wenders

Grand Prix du jury The Zone of Interest, de Jonathan Glazer

Meilleure réalisation Justine Triet pour Anatomie d’une chute

Prix du jury Les feuilles mortes, d’Aki Kaurismäki

Prix du scénario Alice Rohrwacher pour La chimère

Prix d’interprétation masculine Kōji Yakusho dans Perfect Days, de Wim Wenders

Prix d’interprétation féminine Sandra Hüller dans Anatomie d’une chute, de Justine Triet

À plus tard donc, pour le dévoilement du palmarès. En espérant que vous pourrez voir sur grand écran plusieurs excellents films dont on fait notre miel ici.



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