«Les miens»: se dire ses quatre vérités en famille

Moussa est ce qu’on appelle communément « une bonne pâte ». Sa fille et son fils adultes obtiennent de lui ce qu’ils désirent sans faillir, sa soeur Samia régente son quotidien… Victime d’une chute, Moussa se réveille différent. Littéralement. Car le voici qui dit sa façon de penser à ses proches, lui qui, la veille, acquiesçait à tout. Or, il est au moins une personne à applaudir la nouvelle personnalité de Moussa : son frère Ryad, un animateur télé égocentrique. Et s’il fallait qu’une famille s’entredéchire afin de se raccommoder encore plus solidement qu’avant ? Comme il le confie en entrevue, Roschdy Zem s’est inspiré « des siens » pour son film Les miens.
« Un tel accident est survenu au sein de ma famille, un de mes frères a subi un traumatisme crânien. Ce qui a déclenché une réflexion en moi, puis l’envie de faire un film ; l’envie de créer une fiction autour de cet événement. C’était cathartique, mais aussi une occasion de raconter ce qu’est la famille, ce qu’est ma famille », explique Roschdy Zem, qui incarne Ryad, lors d’un entretien à Paris, au mois de janvier dernier.
Comme on s’en aperçoit vite dans le film, les malaises et les froids surviennent la plupart du temps parce que Moussa (Sami Bouajila), qui s’exprime dorénavant avec une absence complète de filtre social, ne profère pas des énormités, mais des commentaires fondés. Ainsi, ce Moussa post-accident, outre qu’il se met à gérer son existence différemment, agit-il comme une espèce d’agent révélateur auprès des membres de sa famille.
« C’est très courant, au sein d’une famille, qu’il faille attendre une maladie, un accident, voire un décès, pour que certaines vérités se disent. De tels événements agissent alors, oui, comme un révélateur auprès de chaque membre de la famille, qui jusque-là aura gardé pour elle ou lui telle et telle frustration… Ces personnalités qui soudain se révèlent et qui s’étaient tues pendant des années, ça déclenche forcément des conflits… »
Et cela, on l’aura compris, c’est très riche, dramatiquement parlant.
C’était cathartique, mais aussi une occasion de raconter ce qu’est la famille, ce qu’est ma famille
Franchir le Rubicon
Ce l’est d’autant plus qu’il devient évident au bout d’un assez court moment que Moussa n’est pas tant devenu quelqu’un d’autre qu’il est, pour la première fois, lui-même. En d’autres mots, il n’est pas un Moussa « nouveau », mais juste un Moussa qui ne réprime ni ne refoule plus quoi que ce soit.
Roschdy Zem opine.
« Au fond, Moussa n’est-il pas le seul à être dans la vérité ? Je veux dire… Est-on jamais nous-même ? On avance tous masqués. On se réveille le matin, on décide de s’habiller d’une certaine façon, et on se glisse dans la peau d’un personnage pour affronter la violence de notre société. Ici, on est face à un personnage que l’on considère comme malade, sauf que, plus le film avance, et plus il devient apparent que c’est le monde qui est malade. Et ce personnage, il est au contraire dans l’authenticité, dans la vérité, puisqu’il livre tout ce qu’il ressent. Il est isolé et ostracisé à cause de sa sincérité, paradoxalement. Donc le film dit aussi quelque chose sur notre société en regard de notre rapport avec la vérité et le mensonge. »
Certes, Les miens dit assurément « quelque chose sur notre société », mais le film dit également beaucoup sur la famille de Roschdy Zem : ses frères, sa soeur, ses neveux et nièces… Sans être impudique, la démarche est très révélatrice…
« Dès lors que j’ai décidé de franchir le Rubicon, la pudeur, c’est quelque chose que j’ai mis de côté. Je me suis dit : “Si je décide de raconter ça, il faut un vrai lâcher-prise.” Je m’y suis engagé et m’y suis tenu. Au moment de la fabrication du film — l’écriture, le tournage —, on est dans la fiction, on est dans le cinéma. »
Parlant d’écriture : Roschdy Zem a sollicité l’actrice et réalisatrice Maïwenn (celle-là même dont le Jeanne du Barry a tant fait jaser à Cannes) pour coscénariser le film, en plus de lui confier le rôle d’Emma, la compagne à bout de patience de Ryad, la célébrité du clan.
« C’était idéal, parce que moi, j’étais dans l’affect avec mes personnages inspirés de mes proches, tandis que Maïwenn n’avait pas cette proximité. Ça lui permettait une approche plus analytique, dénuée d’affect, plus objective — quand on parle de gens à qui on est attaché, c’est difficile de tenir un propos objectif. Et elle était à même de faire un tri entre ce qui était intéressant et ce qui était parfois un peu trop pathos ou pas assez drôle… »
Roschdy Zem décrit une écriture spontanée et organique pour un projet qui prit forme rapidement.
« C’est un film qui a été fait dans l’instantanéité. Il y a eu l’accident, la réflexion, l’écriture un mois plus tard, puis le tournage trois mois après. Beaucoup d’éléments m’ont échappé alors, au sens où je n’ai pas vraiment eu conscience de leur présence, comme la réalité de cette famille marocaine, dont je n’évoque jamais l’origine, mais sans l’occulter non plus… Après coup, j’ai compris qu’avec ce film, je racontais aussi ce qu’est ma France. »
La part des choses
Pour mémoire, Les miens est la sixième réalisation de Roschdy Zem, lauréat du César du meilleur acteur pour Roubaix, une lumière, d’Arnaud Desplechin. Cette fois, il a privilégié une souplesse accrue sur le plan de sa mise en scène.
« Les situations et les thèmes étaient respectés, mais à l’intérieur de ça, il y avait un espace de liberté où je demandais aux acteurs d’être créatifs. Chaque acteur était un membre de la famille et chacun devait y trouver sa place. Je leur demandais souvent d’inventer les cinq premières minutes de la scène, puis d’inventer les cinq dernières. C’est un des avantages de tourner en numérique avec deux caméras : on peut faire des scènes qui n’ont ni début ni fin. Donc, il y avait le texte, ainsi que ce qui se passait avant et ce qui se passait après. Ensuite, c’était à moi de faire la part des choses. »
Et la famille de Roschdy Zem, parvint-elle à « faire la part des choses » en découvrant son film ? Le cinéaste admet volontiers avoir ressenti de l’appréhension.
« Ce n’est que ma version des choses. C’est une vérité, pas la vérité. C’est inspiré de faits réels, comme on dit, mais c’est remanié par mon imaginaire. Quant à ma famille… Tout le monde s’est concentré sur le personnage qu’il ou elle avait inspiré, et ça s’est divisé en trois groupes : les satisfaits, les déçus… et ceux qui ne se sont pas reconnus. »