Wes Anderson, en stars et en kitsch à Cannes

Le cinéaste Wes Anderson, entouré des acteurs Scarlett Johansson et Jason Schwartzman, sur le tapis rouge mardi
Photo: Vianney Le Caer via Agence France-Presse Le cinéaste Wes Anderson, entouré des acteurs Scarlett Johansson et Jason Schwartzman, sur le tapis rouge mardi

Cannes n’aura sans doute jamais accueilli autant de vedettes américaines sur ses écrans et tapis rouges que cette année. De quoi redorer le blason des grands studios en quête de souffle face à la concurrence des nouvelles plateformes, si bien établies. Depuis le début du rendez-vous, la clameur n’en a que pour la myriade de stars descendues de leurs collines californiennes pour parader en tenue de soirée extravagante aux marches du Palais. Assez pour faire de l’ombre aux autres cinématographies — souvent plus méritantes —, dont l’aura internationale resplendit moins fort. « Make America great again », proclame l’homme orange. Le slogan prend son sens ici.

Mardi soir, les appareils des photographes en habit noir ne savaient où donner de l’objectif. Wes Anderson et son équipe gravissaient le tapis rouge pour Asteroid City, projeté en compétition. Ça tenait du défilé devant le Dolby Theatre aux Oscar. Le bottin des célébrités était à l’affiche de son film, certaines pour de simples apparitions. Plusieurs d’entre elles, de Scarlett Johansson à Adrien Brody, en passant par Tom Hanks, Matt Dillon, Jason Schwartzman et Bryan Cranston, entouraient le cinéaste avant la projection de gala, en nuée de lumière. Les influenceurs de TikTok, partenaires de Cannes depuis l’an dernier dans le but d’attirer le jeune auditoire, font la réclame pour Anderson, leur favori. N’empêche…

Sous les vivats ou les lazzis, le coloré, pop et biscornu cinéaste américain sera reparti bredouille au palmarès cannois avec The French Dispatch et The Moonrise Kingdom. Il adore pourtant le festival, qui ne saurait se passer ni de sa griffe insolite ni de ses chatoyants interprètes.

Asteroid City ne devrait pas se faufiler au palmarès 2023 non plus, malgré sa distribution 36 étoiles. Son film à esthétique rétro a tout du roman graphique en mouvement. Son procédé décalé et ironique porte sa signature consacrée, sans le charme de son Grand Budapest Hotel. Ici, en couleur ou en noir et blanc, sur scène ou dans leurs roulottes, les interprètes, prisonniers de cartes postales des années 1950, s’agitent comme des marionnettes plutôt que des personnages de chair et de sang. La proposition réclamerait une poésie croustillante pour s’imposer. Mais l’ADN américain dans l’Ouest mythique, avec des silhouettes de cowboys et des restaurants kitsch aux couleurs pastel, agite ses fanions en musique, sans éblouir.

Dans cette comédie tournée en Espagne, une miniville artificielle du désert accueille, à l’ombre des mesas, d’un cratère de météorite et de champignons surgis d’essais nucléaires, de jeunes astronomes et des cadets de l’espace. Ces surdoués viennent montrer leurs projets futuristes aux organisateurs, comme aux parents, aussi givrés que leur progéniture. De charmantes petites filles à moitié sorcières participent au bal des fous. Des extraterrestres s’invitent à la fête. Scarlett Johansson en vedette de cinéma blasée et lascive n’a pas grand-chose de consistant à se mettre sous la dent, Tom Hanks incarne le grand-papa trouble-fête sans traits d’étincelle. Tilda Swinton joue de son profil androgyne comme d’une pièce de monnaie lancée au casino. Le charme n’opère pas, hélas ! Mais quel exercice de style ! Et que de beau monde en ville !

Ce même jour, des manifestants contre la réforme des retraites en France ont pris d’assaut la gare de Cannes à l’appel du syndicat des travailleurs. Une bombe agricole a explosé et blessé un passant. Des coupures de gaz et d’électricité rappelaient à des hôteliers et à des restaurateurs de la ville que la vie n’est pas que du cinéma. Sacrée Cannes !

Dessous honteux de la papauté

Entre Wes Anderson et l’octogénaire Marco Bellocchio, aucun point commun sinon l’espoir d’une Palme d’or en perpétuelle échappée. Huitième tentative du côté de Bellocchio. Dur ! Ce grand cinéaste italien académique explore le passé de son pays avec une méticulosité de moine, une patte assez lourde, mais des images d’un perfectionnisme admirable. Avec L’enlèvement, sur des éclairages à la Rembrandt, il signe un drame historique à partir d’une trame passionnante. Sous la papauté hautement réactionnaire de Pie IX, au milieu du XIXe siècle, des enfants juifs étaient kidnappés par les soldats du Vatican pour se voir baptisés et éduqués dans la foi catholique, en futurs prêtres égrenant les Ave, croix au cou.

L’histoire véridique d’Edgardo Mortara, six ans, arraché aux bras aimants de ses parents bolonais, le cerveau bientôt lavé, en dit long sur la tyrannie religieuse comme sur le pouvoir de la résistance. Car sa famille juive se battit bec et ongles. Les journaux et les caricaturistes dénonçaient de la plume et du crayon vitrioliques ce scandale devenu politique. Entre le Vatican et les luttes populaires, on voit le torchon brûler, la révolution gronder et Pie IX s’acheminer vers une part sans odeur de sainteté…

Le film est impeccable et écrasant. Bellocchio, au service de sa fresque, ne parvient guère à pénétrer la psyché profonde des protagonistes. L’émotion se laisse désirer, jusqu’à travers le jeu des acteurs. L’enlèvement est noble et beau, parfaitement réalisé. Il lui manque des silences, des sous-entendus, des regards en biais, une grâce pas catholique du tout, assez subtile pour nous atteindre au coeur. Dommage ! Demain, le souffle de la Palme va-t-il passer ?

Odile Tremblay est l’invitée du Festival de Cannes.



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