«The Little Mermaid»: une adaptation en queue de poisson

Halle Bailey est parfaite de fougue irrépressible dans le rôle-titre et convainc dès la première chanson.
Photo: Disney Halle Bailey est parfaite de fougue irrépressible dans le rôle-titre et convainc dès la première chanson.

Fille cadette du roi Triton, qui règne au fond des mers, Ariel n’est pas comme ses soeurs. En effet, plutôt que de s’intéresser aux profondeurs, la jeune sirène ne pense qu’aux humains et à un certain prince Eric. Courroucé, son père lui intime de rester sous la surface. Ce qui fait l’affaire de la machiavélique Ursula, jadis bannie par le roi Triton. Et la voici qui conclut un marché de dupe avec Ariel, qui pourra être humaine pendant trois jours. Adaptation en prise de vues réelles, effets spéciaux aidant, du classique animé de Disney, The Little Mermaid (La petite sirène) émerge à l’issue d’une production de quatre ans.

Très librement inspiré du conte de Hans Christian Andersen, le récit sentimental se veut également initiatique. En effet, Ariel est d’emblée présentée comme étant attirée par le monde terrestre plutôt que par le monde sous-marin, où elle a une place prédestinée dont elle ne veut pas. L’affranchissement d’Ariel (Eric veut lui aussi s’émanciper, du confinement royal dans son cas) et l’importance de ses rêves occupent une place plus importante et plus explicite que dans ladite version animée de 1989.

Dans le rôle-titre, Halle Bailey est parfaite de fougue irrépressible. À la naïve princesse de l’océan, l’actrice et chanteuse insuffle une force de caractère perceptible en tout temps. Et au rayon de la voix, la jeune vedette convainc dès le premier numéro, Part of Your World.

On évoquait la naïveté d’Ariel : celle-ci est évidemment indispensable à l’histoire puisque sans elle, point de pacte avec Ursula, et point de séjour sur la terre ferme. Ainsi Ariel dispose-t-elle de trois jours au terme desquels, si Eric et elle échangent un baiser, elle pourra demeurer humaine pour toujours. L’ennui ? Ursula l’a momentanément privée de sa voix.

Et c’est ici que ça coince. Car d’un côté, le film se veut moderne dans la mise en exergue de la quête de soi de la protagoniste et dans le souci louable de diversité au niveau de la distribution, mais de l’autre, il condamne son héroïne au silence pour une bonne partie de l’histoire (on entend ici et là ses pensées, mais peu).

Bien sûr, cela aussi, c’est inhérent à ladite histoire, et on sait qu’Ariel recouvrera sa voix. Or, la réalité est que dans l’intervalle, on se retrouve avec tout un tas de scènes où Ariel écoute, béate, un Eric qui parle, parle, et parle encore. Ou : « sois belle et tais-toi », littéralement. En 2023 ? Quitte à moderniser, pourquoi s’être limité de la sorte ?

D’autant que dans le rôle du prince, Jonah Hauer-King n’a ni la présence ni la puissance vocale de sa partenaire Halle Bailey. À ce propos, outre qu’elle se révèle sans surprise savoureuse en tentaculaire Ursula, Melissa McCarthy épate lors de son numéro Poor Unfortunate Souls. On verrait volontiers la vedette de Spy(Espionne) jouer plus souvent les méchantes tant elle est impressionnante dans le rôle.

Impressionnante, la facture du film l’est également.

Un poisson dans l’eau

Il faut dire qu’à l’évidence, Disney a accordé au réalisateur Rob Marshall un budget conséquent. Rob Marshall qui, hormis son expertise en films musicaux après Chicago, Into the Woods (Dans les bois) et Mary Poppins Returns (Le retour de Mary Poppins), était déjà familier avec les sirènes depuis Pirates of the Caribbean : On Stranger Tides (Pirates des Caraïbes — La fontaine de Jouvence). D’où la réussite des scènes de navires pris dans la tempête.

On l’aura compris, Marshall est ici comme un poisson dans l’eau. Plus qu’Ariel qui, en choisissant une existence terrestre, doit complètement renoncer à la vie sous l’eau. Elle est celle qui sacrifie tout. En 1984, dans Splash, l’homme (Tom Hanks) était celui qui, à la fin, rejoignait la sirène (Daryl Hannah) dans son royaume sous-marin : c’est bien pour dire.

The Little Mermaid s’inscrit ainsi dans la continuité de précédentes adaptations du catalogue animé de Disney, comme le luxueux Cinderella (Cendrillon) et l’opulent Beauty and the Beast (La belle et la bête) : le film divertit, fait sourire, émeut parfois, mais affiche un féminisme plus de façade qu’autre chose. Cela, à l’inverse de vraies relectures, comme Maleficent (Maléfique) et Cruella, du même studio. Une superproduction à prendre pour ce qu’elle est, donc, et non pour ce qu’elle prétend être.

La petite sirène (V.F. The Little Mermaid)

★★★

Fantaisie de Rob Marshall. Avec Halle Bailey, Jonah Hauer-King, Melissa McCarthy, Javier Bardem, Noma Dumezweni. États-Unis, 2023, 135 minutes. En salle.

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