À Cannes, le dernier tour de piste d’Indiana Jones

Harrison Ford à Cannes
Photo: Patricia De Melo Moreira Agence France-Presse Harrison Ford à Cannes

Grand événement vendredi que cette conférence de presse de l’équipe d’Indiana Jones and the Dial of Destiny. Ce volet d’adieu valut une ovation monstre à Harrison Ford, qui endosse pour une ultime fois ses vêtements d’aventurier et son grand chapeau dans cette série mythique. Le film s’est fait sans Spielberg, comme chacun l’a déjà compris, remplacé par James Mangold à la réalisation.

Du divertissement pur avec quelques cours d’archéologie en prime, ça se prend bien. Le film trépidant fut si ovationné que son acteur s’est dit tout ému, en tenant en plus sa Palme d’or honorifique.

Entre le IIIe Reich et les années 1970 (Mads Mikkelsen campe un méchant nazi), la quête d’un cadran conçu par Archimède pour remonter le cours du temps offre l’occasion de mille cascades entre les continents pour sauver les trésors culturels de la Terre. L’acteur octogénaire a confessé aux journalistes aimer prendre de l’âge, mais dans ce film, Indy, maintenant professeur à la retraite, reprend du service comme enquêteur casse-cou. Il perdra également 30 ans grâce aux effets numériques, pour un long retour en arrière en Allemagne.

« Je voulais que ce film résume les quatre premiers volets », a dit Ford, souhaitant qu’Indiana « se souvienne de la vigueur de sa jeunesse et qu’il aide les autres sans entrer dans une relation de flirt ». Indy, son personnage aux aventures tumultueuses, l’aura accompagné tout au long de sa vie adulte comme un double plein de courage, de phobies et de défauts. « Et tout le monde l’aime », se réjouit Harrison Ford. La maturité du personnage contribue cette fois au succès du morceau de clôture.

Photo: Lucasfilm Ltd. De gauche à droite: Teddy (Ethann Isidore), Indiana Jones (Harrison Ford) et Helena (Phoebe Waller-Bridge) dans «Indiana Jones and the Dial of Destiny», film-somme qui enfourche tout le destin du héros depuis ses débuts.

Les festivaliers se sont amusés comme des enfants devant cette production spectacle, grisés par l’inventivité et l’humour du scénario — avec effets spéciaux parfois peu subtils, mais ne chipotons pas. Indy se jette dans le vide à corps perdu, tout en avouant trouver moins facile d’escalader les montagnes après tant de blessures et de douleurs dorsales dues à l’âge mûr.

Rien ne battra Raiders of the Lost Ark, le premier-né de la saga, dans plusieurs cœurs cinéphiles, mais ce film-somme, qui enfourche tout le destin du héros depuis ses débuts, possède une tendresse inédite.

 

Le IIIe Reich sur un autre ton…

Tout cela est bel et bon, car il faut bien se détendre. Reste qu’en compétition, le IIIe Reich tenait la vedette dans une œuvre plus grave et puissante. Comment montrer encore Auschwitz ?

Le Britannique Jonathan Glazer est parvenu à renouveler le sinistre genre à travers The Zone of Interest. Une œuvre remarquable, appuyée sur le concept de « banalité du mal » défendu par la philosophe et journaliste Hannah Arendt. C’est un miroir moral que tend le cinéaste au spectateur, car l’Holocauste témoigne également de nos lâchetés d’aujourd’hui.

Dans leur belle demeure devant le camp d’extermination, Rudolf Höss (Christian Friedel) et son épouse (la formidable Sandra Hüller) vaquent au jardin, organisent des fêtes, caressent leurs blonds enfants et vivent leurs soucis de bien nantis désabusés de leur couple. Dehors, les cheminées crépitent, des coups de feu sont tirés, l’épouse récupère des dents en or des Juifs partis en fumée. Aucun remords n’effleure ces personnages.

Sur une caméra aux cadres étouffants, des effets d’animation au noir dévoilent des scènes inquiétantes. Et les dernières images effroyables montrant des amas de vêtements des victimes derrière de froides vitrines donnent froid dans le dos.

Le retour du maître turc

 

L’immense cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, palmé d’or pour Winter Sleep, un habitué du festival, revient dans la course avec Les herbes sèches. En notre époque troublée, il explore comme bien d’autres la frontière entre le bien et le mal quand les repères chutent.

Un professeur (Deniz Celiloğlu), de retour dans son village anatolien, reluque après la classe une préadolescente, qui se plaint à la direction. Une suspicion pèse sur lui et son compagnon, tandis que le poids des interdits leur fait perdre pied. Comme plusieurs opus du cinéaste turc, cette œuvre se nourrit de magnifiques plans-séquences, de regards voilés et d’infinies réflexions théoriques sur la vie, où la mauvaise foi n’est jamais bien loin. Le mystère flotte sur les mobiles des uns et des autres.

Et si Les herbes sèches ne dégage pas la grâce sublime des meilleurs films de ce réalisateur, les 3 heures et 17 minutes de cette œuvre passent dans une hypnose, tant la lenteur et la profondeur du regard de Ceylan créent un climat brillant et pervers que lui seul peut distiller.

Les filles perdues

 

J’aurais voulu aimer Les filles d’Olfa, de la Tunisienne Kaouther Ben Hania. La présence de nouvelles réalisatrices en compétition ne peut que réjouir le cœur. Mais cet objet filmique de docuréalité s’emmêle dans ses lacets.

Une mère violente qui a perdu ses deux filles aînées dans leur combat pour le djihad accepte de participer à un film avec les cadettes survivantes, en compagnie d’actrices, pour démêler l’écheveau d’issues tragiques. Toutes valsent de concert sans nous toucher, et une esthétisation des jeunes filles égare le ton du film en des zones de frivolité, sans émotion à la clé. Hélas !

Odile Tremblay est l’invitée du Festival de Cannes.

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