«Les trois mousquetaires. D'Artagnan»: fine adaptation pour fines lames

Jeune Gascon sans le sou mais fine lame, d’Artagnan « monte » à Paris décidé à entrer au service des mousquetaires du roi Louis XIII. À peine arrivé, le voici qui doit contrecarrer les vils desseins du cardinal de Richelieu et de sa lieutenante, Milady de Winter. En jeu : l’honneur de la reine, Anne d’Autriche, et la paix du royaume.Que l’on ait ou non lu le roman d’Alexandre Dumas, ces quelques lignes rappelleront à coup sûr des souvenirs : l’histoire des Trois mousquetaires est archiconnue pour avoir été archifilmée. La beauté de la nouvelle adaptation en deux parties de Martin Bourboulon est qu’elle innove, et donc surprend, tout en demeurant fidèle à l’esprit de l’intrigue originelle.
Intitulé Les trois mousquetaires. D’Artagnan, le premier volet constitue un divertissement de haute tenue, à la fois robuste et élégant. Le budget du diptyque s’élève à 72 millions d’euros, soit environ 105 millions de dollars canadiens : c’est énorme pour une production française, mais ces moyens ont été utilisés à bon escient : comme on dit, l’argent est à l’écran.
Entre opulence et saleté, selon que l’action se déroule dans un palais ou dans une rue boueuse, le film, tout en faisant en sorte d’en mettre plein la vue, affiche un souci d’authenticité constant. C’est là l’un des aspects qui distingue le plus cette adaptation-ci des précédentes, très proprettes, visuellement parlant. On songe entre autres à celles de George Sidney, en 1948, avec Gene Kelly et Lana Turner, de Richard Lester (en deux parties aussi), en 1973-1974, avec Michael York, Faye Dunaway et Raquel Welch, ou de Stephen Herek, pour Disney, en 1993, avec Chris O’Donnell, Kiefer Sutherland et Rebecca DeMornay.
Entre panache et âpreté, l’approche esthétique de Martin Bourboulon et du directeur photo québécois Nicolas Bolduc évoque en fait davantage La reine Margot, de Patrice Chéreau (1994). Contrairement au film historique à vocation populaire traditionnel, Les trois mousquetaires. D’Artagnan ne craint pas de montrer la sueur, la crasse et le sang, le cas échéant.
Résultat ? L’époque dépeinte paraît plus vraie, et par conséquent, l’action également.
Distribution épatante
En entrevue au Devoir, Martin Bourboulon confiait avoir voulu sa mise en scène « immersive ». C’est réussi. Cette volonté est manifeste dès la première grande bataille, lorsque, après s’être débrouillé pour provoquer en duels successifs Athos, Porthos, et Aramis, d’Artagnan combat à leurs côtés les gardes du cardinal. Un plan-séquence fou furieux, rempli de plongées dans l’action, d’instants de stupeur et de rebonds hardis, donne le ton pour les passages mouvementés subséquents.
Évidemment, qui dit récit classique dit personnages emblématiques : dans Les trois mousquetaires, il n’y a que ça. Chez les méchants, l’administrateur général de la Comédie-Française, Éric Ruf, compose un cardinal de Richelieu judicieusement effacé : c’est pour mieux frapper le moment venu. Milady de Winter, la partition la plus voyante et la plus fascinante, va à Eva Green comme un gant (qu’elle a de cuir noir fort seyant).
Du côté des gentils, François Civil est solide en idéaliste d’Artagnan. Imparti du rôle d’Aramis, le « spirituel » de la bande, Romain Duris est correct, mais pas mémorable. Dans la peau du tourmenté Athos, Vincent Cassel opte quant à lui pour une retenue qui offre un parfait contrepoint à l’exubérance de Pio Marmaï : un choix inspiré pour le bon vivant Porthos.
Porthos qui, plus que jamais, aime la bonne chère dans son assiette et la chair dénudée dans son lit, que celle-ci soit féminine ou masculine…
Belles différences
Ce détail, à savoir la bisexualité de Porthos, qui au fond cadre bien avec la gourmandise tous azimuts du personnage, est représentatif de la manière dont Bourboulon et les scénaristes Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte s’y sont pris pour renouveler sans trahir. Quoique le film réussisse parfois à être différent sans rien changer. On pense à la reine : ce personnage, même interprété par une actrice de la trempe de Géraldine Chaplin, a toujours eu un peu valeur de potiche. Pas cette fois.
Elle qui vient d’épater en Élisabeth « Sissi » l’impératrice d’Autriche dans Corsage, Vicky Krieps insuffle un supplément d’âme inédit à Anne d’Autriche. En Louis XIII, Louis Garrel n’est pas en reste, apportant un humour maladroit délicieux à ce rôle souvent beige.
Bref, c’est là une excellente adaptation : un spectacle à grand déploiement du genre de ceux que l’on se plaît à revisiter. Ce que l’on fera sûrement, puisqu’il faudra patienter de longs mois avant la sortie du second volet, Les trois mousquetaires. Milady.