«Bungalow» ou la maison de poupée des horreurs

Sarah (Sonia Cordeau) et Jonathan (Guillaume Cyr) viennent de s’acheter une maison en piètre état qu’ils rêvent de rénover selon les goûts de madame, qui accuse un fort penchant pour les couleurs voyantes et les motifs zébrés. « Bungalow, c’est l’extension de ma vie. Je suis à deux décisions d’être Sarah ! » s’exclame Lawrence Côté-Collins, qui a puisé plusieurs idées de décorations au cours des cinq saisons d’Un souper presque parfait et des quatre saisons de Design V.I.P., qu’elle a aussi réalisées.
« Avec son background de téléréalité, Lawrence a rencontré beaucoup de gens qui se font ridiculiser, ceux qu’on appelle “du petit monde”, mais elle les a tellement côtoyés et aimés qu’elle voulait les montrer sans rire d’eux, parce que ce sont des gens qui ont de vrais problèmes », explique Guillaume Cyr, pour qui le rôle de Jonathan a été créé par la réalisatrice — qui l’avait dirigé dans son court métrage Score — et son coscénariste, Alexandre Auger (Prank et Les Barbares de la Malbaie, de Vincent Biron).
« Je ne porte pas de jugement. Ça part vraiment de mes racines. Je pense que je fais de l’hyperréalisme. La réalité dépasse toujours, toujours, toujours la fiction. Je ne suis pas tellement originale, je fais du copy-paste de ce que je vois. J’ai besoin de faire du cinéma qui me ressemble. Je me guéris à travers ça. Tout le monde est un peu en danger d’être dans mon cinéma », prévient la « junkie des shows de rénos ».
Même si la relation entre Sarah et sa mère (Sylvie Léonard) est inspirée de celle que la réalisatrice vivait avec la sienne, Lawrence Côté-Collins affirme que Sonia Cordeau a changé la donne en audition : « Sarah est une extension de moi et, comme je surjoue ma propre vie, j’ai toujours l’air d’être dans un théâtre d’été. J’ai essayé beaucoup d’actrices qui avaient mon attitude, puis j’ai trouvé que la proposition de Sonia apportait toute la nuance que je n’ai pas et qui me permettait de me détacher du personnage. »
« Je suis allée vers quelque chose d’un peu plus fragile que les autres comédiennes. La chimie entre Guillaume et moi marchait vraiment bien d’emblée, il y avait aussi quelque chose dans les corps qui était intéressant », confirme l’actrice.
La maison des horreurs
Faute d’avoir de grands moyens financiers, le couple demande d’abord à Steve (Benoît Mauffette), un ami, d’entreprendre de refaire la salle de bains. Devant le résultat désastreux, Sarah et Jonathan n’ont d’autre choix que d’engager la douée Josée (Ève Landry), qui ne se gêne pas pour draguer Sarah avec la finesse d’un vieux mononcle cochon. Ce qui ne déplaît pas à celle qui est un peu lasse de veiller sur son chum adulescent.
« Deux filles qui se cruisent, ça peut être pas mal plus trash qu’un gars qui cruise une fille, dit la réalisatrice. C’est pas une caricature, c’est une scène que j’ai vécue. On vit dans un double standard. C’est Sarah qui lève le poing sur Jonathan, mais personne n’en parle parce qu’on tolère beaucoup plus la violence des femmes contre les hommes ; si ç’avait été Jonathan qui avait levé le poing, on en parlerait plus que ça. C’est lorsqu’on est à l’abri des regards que la violence s’exprime. Je trouve ça le fun de jouer sur le schéma des valeurs, parce que — je sais que je vais avoir l’air d’une fille quétaine — j’aime faire réfléchir, avoir un dialogue avec le public. »
L’argent ne poussant pas dans les arbres, Jonathan fera des choix pour le moins discutables afin que les rénos se poursuivent. Puis, tout tournera au cauchemar. Cynthia (Geneviève Schmidt), collègue de Sarah, n’avait-elle pas prévenu celle-ci avec ses histoires de rénos aussi macabres qu’abracadabrantes ?
« Très vite, en tournage, on a compris que, si on jouait un peu trop la comédie, on se tirait dans le pied, parce que l’univers et les décors parlaient d’eux-mêmes. Au début, c’était tellement déstabilisant qu’on se disait constamment qu’il fallait en faire moins, ou quasiment ne rien faire. C’est tellement criard, tellement gros, que, si on essayait le moindrement de jouer la comédie, on tombait dans le sketch », raconte l’acteur.
« Il fallait vraiment nous fier à Lawrence, qui nous dirigeait au quart de tour. Comme elle a un amour pour les marginaux, je lui ai fait entièrement confiance pour me retrouver sur les mêmes rails qu’elle. C’est un film d’actualité, même si elle n’avait pas du tout ça en tête au moment de l’écrire, qui commence comme La foire aux malheurs, avec Tom Hanks, mais qui s’en va vraiment vers les codes du film d’horreur », poursuit Sonia Cordeau.
Au grand bonheur des acteurs et de la réalisatrice, Bungalow a été tourné de façon chronologique, puisque chaque pièce du bungalow lavallois recréé en studio était rénovée au fur et à mesure de l’évolution du récit.
« Je dessinais des plans, puis l’équipe des décors les mettait à l’échelle. C’était comme un pouvoir magique. Je disais que je voulais telle chose et les choses se bâtissaient en studio. J’entrais dans le décor et c’était exactement comme ce qu’il y avait dans ma tête. J’étais perpétuellement comme un enfant dans un magasin de bonbons », explique la réalisatrice, qui s’est inspirée du bungalow situé derrière celui où elle a grandi.
Huis clos cruel
Afin de bénéficier de l’aide supplémentaire offerte par la SODEC au coeur de la pandémie, Lawrence Côté-Collins a fait quelques sacrifices, dont celui d’amener New York à elle plutôt que d’y tourner quelques scènes. Ces changements ont fait en sorte que Bungalow est devenu un huis clos où les personnages semblent prisonniers d’une maison de poupée imaginée par Stephen King.
« Tout le monde est enfermé dans une boîte tout le temps. Dans la shop de Jonathan, ils sont habillés en détenus fédéraux. C’est un film très carcéral. Il y a de la prison cachée partout dans ce film-là. On a volontairement bâti la maison avec des plafonds de huit pieds plutôt que de neuf pieds, pour écraser les personnages. »
Avec son couple ébranlé par l’arrivée d’une intruse et son incursion dans le milieu interlope, Bungalow évoque Écartée (2016), premier long métrage de celle qui a fourbi ses armes au sein de Kino pendant 10 ans.
« Tu sais, on finit toujours par faire le même film… Bungalow, c’est un film superméchant parce que je trouve que la société est cruelle et violente. Je me sens enfermée dans un système capitaliste qui détruit l’environnement. Toutes les couches de la société me dérangent. Tout est une question d’apparence, de mensonges, de manipulation. Le moule de l’American Dream, c’est comme un moule à muffins, mais moi, je ne suis pas un muffin, je suis un biscuit qui traîne sur la plaque d’à côté. Mon cinéma est trash et violent, il manque d’amour, mais il est tout ce que j’ai côtoyé dans ma vie », conclut la cinéaste.
Le film Bungalow prendra l’affiche en salle le 7 avril.