«Cinema Erotica»: faire corps avec l’esprit libre

« Vous pouvez faire absolument tout ce que vous voulez, et c’est assez rare de trouver ça dans les fêtes montréalaises », explique Ariana Molly, photographe, cinéaste et cofondatrice de Cinema Erotica lors d’une entrevue dans un bar confidentiel, où résonne la très symbolique chanson Blue Velvet, de Bobby Vinton.
Si certains peuvent être intimidés par le concept de ces soirées au cinéma L’Amour amalgamant projection d’un film érotique, sets de DJ et performances artistiques, l’artiste se veut rassurante, inclusive. « C’est un endroit accessible, où chacun, peu importe sa communauté, peut se sentir dans son élément tout en sortant de sa zone de confort. C’est gratifiant », estime-t-elle. Sa collaboratrice et amie, l’artiste multidisciplinaire Veronika Yemelyanova, renchérit : « l’affiche de l’événement donne un aperçu de ce à quoi s’attendre, comment se présenter aux autres pendant la soirée ». Mettant en vedette une plante carnivore, elle donne en effet le ton de ce que sera la quatrième édition de Cinema Erotica.
« Chaque nouveau film que nous sélectionnons est une occasion de faire quelque chose de complètement différent », précise Ariana Molly. Cette fois, c’est Maîtresse, de Barbet Schroeder, qui a piqué la curiosité du duo. « Il s’agit d’une oeuvre des années 1970 qui a mis cinq années avant d’être autorisée. C’était déstabilisant et unique pour l’époque, et surtout pour le grand public, parce que les scènes de BDSM sont non simulées », poursuit-elle. Quant aux DJ, Via App, Venus in Foil et Meen Moreen, ils ont soigneusement été choisis, tant localement qu’à l’international, pour refléter l’esprit du film.
La volonté d’Ariana Molly et de Veronika Yemelyanova est de fusionner leurs propres visions de Cinema Erotica et de faire s’entrechoquer les sens dans un même espace, et le lieu choisi pour accueillir leur toute jeune initiative est sans pareil… « Le cinéma L’Amour possède une énergie très particulière, authentique. Les gens sont généralement très surpris la première fois qu’ils pénètrent à l’intérieur et qu’ils se rendent compte que c’est magnifiquement préservé depuis les années 1920 », indique Ariana Molly. Sa complice estime pour sa part que le contraste entre Cinema Erotica et l’institution emblématique du boulevard Saint-Laurent intrigue, attire. « Le succès des projets conceptuels est meilleur lorsque les lieux et les activités ne sont pas destinés les uns aux autres d’un point de vue conventionnel », dit Veronika Yemelyanova.
La genèse d’un désir
Quand elles se souviennent du Cinema Erotica originel, Veronika Yemelyanova et Ariana Molly confient en avoir surpris plus d’un. « Au moment où nous avons annoncé aux propriétaires du cinéma L’Amour que leur salle allait se transformer en piste de danse, ils se sont vraiment demandé comment ça allait pouvoir être possible. Finalement, tout s’est passé très naturellement », explique la seconde, qui ajoute que tout s’est articulé de façon organique pendant cette première soirée d’avril 2022.
À cet instant, personne ne se doutait et n’osait imaginer, peut-être, que ce Cinema Erotica 001 allait devenir une série d’événements. « Notre petit fantasme était simplement de pouvoir montrer le film que j’ai réalisé, Vain, au cinéma L’Amour, et d’organiser une levée de fonds pour l’Ukraine [à qui la Russie venait de déclarer la guerre], car Veronika est originaire de Kiev », rappelle Ariana Molly.
Les planètes et les astres se sont ensuite rapidement alignés. La soirée d’octobre dernier a amplement dépassé toutes les attentes, grâce notamment au set de la tête d’affiche montréalaise Marie Davidson et à l’invitation faite au public de porter du rouge. « C’est là que nous avons réalisé que Cinema Erotica avait un potentiel explosif et que nous pouvions rêver en grand », observe sa cofondatrice.
Pour le Cinema Erotica 004, la paire continue avec passion son exploration visuelle d’une esthétique et d’une philosophie singulières, destinées à plusieurs centaines de personnes par édition. « Je ne souhaite pas que Cinema Erotica soit vu comme de la pornographie, explique Veronika Yemelyanova. Nous voulons plutôt aller au-delà, semer les graines du doute, faire s’interroger les participants. » Selon celle qui se plaît à manier la satire dans son approche artistique, la sexualité s’appréhende de la même manière qu’une provocation. « Il n’a jamais été question de sexualité exclusivement, mais il y a beaucoup à approfondir dans un contexte où une culture spécifique est pleinement intégrée à ma démarche », fait-elle remarquer.
Pour faire monter la tension et conserver le caractère sensuel et inusité de Cinema Erotica, Veronika Yemelyanova et Ariana Molly misent sur la rareté. « Nous n’aimerions pas que l’expérience soit trop fréquente », préviennent-elles de concert. Puisque l’inconnu fait souvent aussi peur qu’il grise, les deux convient tout un chacun à se joindre à l’aventure. « Tout est valide et bienvenu, sans restriction, seul le consentement n’est pas négociable. Nous voulons que tout le monde s’amuse et prenne plaisir pendant ces quelques nuits », admet Ariana Molly, affranchie de toute étiquette.