«Les Cyclades»: qui s’assemble ne se ressemble pas

Laure Calamy dans le film «Les Cyclades»
Photo: Axia Films Laure Calamy dans le film «Les Cyclades»

Du temps de leur adolescence, la réservée Blandine et l’extravertie Magalie étaient les meilleures amies du monde. Inséparables, elles écoutaient en boucle la musique du film Le grand bleu en fantasmant du jour où elles voyageraient ensemble en Grèce sur les lieux du tournage. Puis, de déménagement en temps qui passe, Blandine et Magalie se perdirent de vue. Mais voici que Blandine, fragile et plus effacée que jamais après un divorce et une dépression, voit resurgir une Magalie déterminée à l’entraîner dans ce fameux périple méditerranéen qu’elles s’étaient jadis promis de faire. Écrit et réalisé par Marc Fitoussi, Les Cyclades met notamment en vedette Laure Calamy. On leur a parlé.

Cinéaste à qui l’on doit entre autres les films Copacabana et La ritournelle, ainsi que la réalisation de plusieurs épisodes de la populaire série Dix pour cent (Appelez mon agent), Marc Fitoussi se montre très franc en évoquant la genèse de son plus récent long métrage.

« Le projet est né de l’échec de mon film précédent, Maman a tort, qui m’avait affecté. J’ai donc amorcé l’écriture de ce film-ci au sortir d’une production très hivernale, portant sur la pourriture du monde adulte. Envie de comédie, envie de faire un film sur l’amitié… »

De préciser Marc Fitoussi, ce dernier thème lui fut inspiré par la complicité qui l’unit à la productrice Caroline Bonmarchand, une collaboratrice assidue, et surtout une amie de longue date.

« En réfléchissant à l’amitié, aux films sur l’amitié, je repensais à Sideways [À la dérive], d’Alexander Payne, ainsi qu’aux comédies de Francis Veber, avec des duos très dissonants [La chèvre, Les compères, Les fugitifs, etc.], et j’ai constaté que, décliné au féminin, c’était plutôt rare. Quand on cherche à convoquer des références, on pense aussitôt à Thelma et Louise, mais on vire tout de suite au tragique. Moi, je voulais un film très optimiste et ensoleillé. »

Retrouvailles plurielles

Dans le but de chasser la grisaille à la fois de son esprit et de sa vue, Marc Fitoussi s’offrit un séjour d’écriture en Grèce.

« En visitant l’île d’Amorgos, j’ai constaté combien le souvenir du tournage du Grand bleu est bien vivace : il y a des tavernes qui s’appellent Le grand bleu, et le film de Luc Besson passe en boucle sur les écrans de télé des hôtels. Comme à ce stade, je songeais déjà à ces deux femmes qui étaient autrefois des adolescentes inséparables à la fin des années 1980, l’idée de les réunir autour de ce film culte m’a semblé aller de soi. »

Naquirent ainsi Blandine et Magalie, dont les tempéraments contrastés évoquent cette maxime voulant que les contraires s’attirent. Des deux, Magalie est celle qui déplace le plus d’air. Avec une énergie et une bonhomie irrépressibles, elle avance, trébuche, se relève, repart de plus belle…

« Quand on a la chance de pouvoir vieillir, le plus difficile est de ne pas se laisser submerger par toute la merde qu’on nous envoie dans la gueule chaque jour, chaque année, confie Laure Calamy. Garder une ouverture et rester fidèle à quelque chose de notre enfance, de notre adolescence, de nos rêves, de notre envie de rencontre des autres… Ne pas se plier trop facilement aux injonctions qu’on nous fait subir à coeur de jour… Magalie, elle représente ça, ce refus d’abdiquer tout en gardant son panache. »

Pour la vedette des récents, et excellents, À plein temps, L’origine du mal et Annie Colère, Les Cyclades marquait par surcroît des retrouvailles plurielles.

« Marc et moi, on s’est connus sur Dix pour cent ; une rencontre particulière, joyeuse et inventive. Renouer avec cette possibilité d’invention et de comédie me plaisait. Parce que c’est vrai que ça faisait plusieurs films dramatiques que j’enchaînais… Nous, les acteurs, on a une porosité à la vie, aux choses, surtout lorsqu’on joue, et ce projet-ci me permettait de respirer autrement, de swinguer à nouveau. Et puis, je retrouvais en outre ma pote Olivia, alors c’était génial. »

De fait, Laure Calamy et Olivia Côte apparurent souvent aux mêmes génériques par le passé, plus récemment à celui d’Antoinette dans les Cévennes, qui consacra la première.

« Le personnage de Blandine s’est fait laisser pour une femme plus jeune, avec ce que ça renvoie à la gueule. [Il y a] ce truc dans lequel on est élevées, les filles, à savoir qu’après 40-45 ans, on ne fait plus partie des baisables, du “marché de la bonne meuf”, pour citer Despentes. Mais ça, c’est d’une perspective masculine, alors que si on épouse son propre point de vue de femme, son propre regard, on peut s’octroyer une place désirante, désirable. Qu’est-ce que le désir ? Et la séduction ? Tant qu’elle est dans la vie, pourquoi une femme y renoncerait-elle ? C’est beau de voir ce qui se passe entre ces femmes autour de ce sujet-là. »

Dans « ces femmes », il n’y a, pour le compte, pas uniquement Blandine et Magalie, puisqu’une fois en Grèce, le duo se meut en trio avec l’entrée en scène de « Bijou » : Kristin Scott Thomas incarne avec un délice évident ce personnage haut en couleur. Jadis installée sur une île paradisiaque avec un peintre du cru, Bijou accueillera — et brassera — les deux copines.

Danser sur un volcan

À cet égard, après avoir commencé comme une comédie dramatique, le film, vers le mitan, effectue un virage graduel vers le « drame comédique ». En phase avec ce changement de ton, les personnages commencent alors à révéler une profondeur accrue, des nuances et des secrets insoupçonnés. C’est particulièrement vrai de Magalie.

« Sous la fantaisie, il y a parfois un malaise, des silences, et ç’a été très difficile à distiller, opine Marc Fitoussi. Avec Laure, on a beaucoup travaillé le scénario par rapport à ça, de manière à ne pas “psychologiser” en simplifiant. Au bout du compte, on a vraiment élagué, y compris au montage, afin qu’on sente les choses, qu’on les devine, plutôt que celles-ci soient bêtement explicitées. »

Ce parti pris plut en l’occurrence énormément à Laure Calamy : « Ce que je trouve beau, c’est que ça devient une partition invisible que je joue en parallèle. Magalie est là, et elle danse sur son volcan. »

On pourra l’y retrouver le 31 mars, lorsque Les Cyclades prendra l’affiche au Québec.

François Lévesque se trouvait à Paris à l’invitation des Rendez-vous UniFrance.

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