«L’innocent»: pris en flagrant délit (de tendresse)

Anouk Grinberg, Louis Garrel et Roschdy Zem dans une scène tirée du film «L’innocent»
Photo: Emmanuelle Firman Anouk Grinberg, Louis Garrel et Roschdy Zem dans une scène tirée du film «L’innocent»

Abel est triste et se sent coupable. En effet, c’est lui qui conduisait lors de l’accident qui coûta la vie à sa conjointe Maud. Abel est au surplus inquiet et agacé. De fait, sa mère, Sylvie, vient d’épouser Michel, qui sort tout juste de prison. Enfin, Abel est amoureux, mais embêté. C’est que Clémence, la collègue qui ne lui est pas indifférente, était la meilleure amie de Maud. Et quel plaisir on prend à le suivre dans ses tribulations, cet Abel, héros qu’il est de l’excentrique et émouvant L’innocent, de et avec Louis Garrel.

Il s’agit, pour mémoire, de la quatrième réalisation de Louis Garrel après Les deux amis, L’homme fidèle et le récent La croisade. Dans L’innocent, on retrouve, des deux premiers films, ce goût de l’exploration d’un sentiment amoureux en proie à maintes complications. Quant au troisième film, il développait une espèce de fantaisie engagée dont on discerne ici les traces, notamment dans le commentaire social.

Car il faut à ce propos savoir que Sylvie (Anouk Grinberg) donne des cours de théâtre en prison — d’où sa rencontre avec Michel (Roschdy Zem), qui n’est en l’occurrence pas le premier détenu duquel elle s’éprend. Dès lors, Louis Garrel, alias Abel, peut aborder en filigrane le thème de la réinsertion sans appuyer ni pontifier.

L’élément théâtral permet en outre au cinéaste de déployer tout un système de simulacres et de mystifications, les personnages mentant sans cesse, aux autres et à eux-mêmes.

Ainsi Abel soupçonne-t-il Michel de fomenter, dans le dos de sa mère, un nouveau coup. S’ensuit une série de filatures malhabiles qui donne néanmoins raison au jeune homme. Puis, voici qu’Abel et Clémence (Noémie Merlant, de Portrait de la jeune fille en feu) plongent dans l’aventure criminelle : un détail que l’on apprend au détour d’une formidable séquence d’entourloupe métanarrative montrant Abel et Clémence se disputer. Sauf que, constate-t-on a posteriori, cette querelle n’était que feinte, puisqu’il s’agit en réalité de la répétition (le théâtre !) d’une diversion prévue pour le casse.

Oui, parce que casse il y aura. À cela s’ajoutent le récit mère-fils, le sous-texte social, la comédie romantique : autant de composantes en apparence disparates, mais que Louis Garrel fusionne de brillante façon. Peut-être, justement, parce que son film s’applique entre autres à démontrer combien trompeuses sont lesdites apparences…

Bref, improbable en théorie, le mélange s’avère parfaitement harmonieux en pratique. Il faut dire que Louis Garrel a eu l’heureuse idée de collaborer avec l’écrivain Tanguy Viel pour le scénario. Auteur de romans policiers primés, Viel se spécialise dans les histoires de familles et de tromperies tous azimuts sur fond de lutte de classes. Ceci expliquant cela.

Merveilleuse Anouk Grinberg

Le film, qui possède un côté très ludique, réussit par ailleurs à multiplier les ruptures de ton sans y sacrifier son unité ni son rythme. Par exemple, à une scène loufoque entre Abel et Michel peut succéder un moment poignant avec Sylvie. Au sein d’une distribution inspirée, Anouk Grinberg se révèle tout spécialement merveilleuse dans cette partition. Vue récemment dans Tromperie, elle nous a quand même manqué, la vedette de Merci la vie.

Ah, ce passage au karaoké où sa Sylvie chante Une autre histoire, de Gérard Blanc… Quoique, au vu de la nature du film, elle aurait tout aussi bien pu entonner Flagrant délit, d’Herbert Léonard.

En phase avec cette succession de déroulements extravagants, donc, Louis Garrel opte pour une mise en scène forte en style : contrastes chromatiques (à l’aquarium surtout), travellings inquisiteurs (lorsqu’Abel suit Michel), zooms indiscrets, écrans partagés, lents fondus enchaînés rétros…

Des procédés utilisés autant à des fins satiriques qu’en guise d’hommage au polar, au noir… Fond et forme dialoguent, s’harmonisent… Une très, très belle surprise que ce film.

À voir en vidéo