Les films de Michael Snow, des expériences à vivre en salle

Considérés comme inaccessibles par certains et déboussolants par d’autres, les films de Michael Snow se révèlent pourtant éminemment puissants lorsqu’on en fait l’expérience en salle. C’est du moins ce que croit Guillaume Lafleur, le directeur de la programmation de la Cinémathèque québécoise. À partir de mercredi, il consacre une rétrospective à ce géant canadien de l’art contemporain, décédé en janvier dernier à 94 ans.
« On invite tous ceux qui sont curieux, tous ceux qui sont prêts à voir des œuvres déstabilisantes sans a priori, à venir », lance M. Lafleur. Afin de rendre hommage à Snow et, en même temps, de permettre à une nouvelle génération « d’aventuriers de la cinéphilie » de se familiariser avec sa démarche singulière, il présente trois programmes de films distincts. Ensemble, ils s’échelonnent sur près de 40 ans et rassemblent ses œuvres les plus célèbres, ainsi que d’autres pépites, plus rares.
Inévitablement, Wavelength (1967) et La région centrale (1971) sont au menu. Ces deux films ont, chacun à leur manière, « repoussé les limites du cinéma », soutient M. Lafleur. Aujourd’hui encore, ils sont enseignés dans les universités partout dans le monde et figurent au panthéon du cinéma expérimental.
Mais pourquoi donc ? Pour comprendre, il faut d’abord voir Wavelenght, qui est présenté au sein d’un premier programme de courts métrages mercredi. Le film consiste en un seul plan fixe, un zoom avant très lent d’environ 45 minutes. Il s’ouvre sur un plan large de l’atelier de l’artiste et se termine sur un plan rapproché d’une photo de vagues, épinglée au mur opposé à la caméra. Tandis que, de temps à autre, des personnages circulent dans le loft, le son devient de plus en plus strident, rendant l’expérience de visionnement presque éprouvante.
Mettre le spectateur au défi
Wavelenght s’inscrit ainsi dans le courant du cinéma structurel qui a émergé de la scène artistique new-yorkaise à la fin des années 1960. Dans son livre Le cinéma visionnaire. L’avant-garde américaine, l’historien du cinéma expérimental P. Adams Sitney le définit comme un cinéma « dans lequel la forme d’ensemble, prédéterminée et simplifiée, constitue l’impression principale produite par le film » — souvent en plan fixe ou en produisant un effet de clignotement, entre autres.

M. Lafleur souligne que Michael Snow, qui s’est d’abord fait connaître comme plasticien, notamment au pavillon de l’Ontario d’Expo 67 de Montréal, « a eu la chance d’évoluer dans le bouillonnement créatif new-yorkais tout en profitant des bourses du Conseil des arts du Canada ». Cela lui a donc permis, dit-il, d’amalgamer sa pratique « à toute l’avant-garde au sens large », au-delà des frontières du cinéma, et ce, « sans la pression financière que pouvaient ressentir certains artistes américains ».
C’est notamment grâce au soutien du gouvernement fédéral que Snow a pu réaliser son autre chef-d’œuvre, La région centrale. Tourné sur la Côte-Nord, à près de 200 kilomètres au nord de Sept-Îles, il montre le paysage inhabité de la région avec le plus de mouvements de caméra et de points de vue possible, à l’aide d’une caméra fabriquée sur mesure. Le long métrage clôturera d’ailleurs la rétrospective de la Cinémathèque le 14 avril.
« Ce film est un défi à produire et devient un défi pour le spectateur, admet M. Lafleur. On lui propose de s’asseoir pendant 180 minutes et de devenir un réceptacle qui ne doit pas s’attendre à un message. […] On vient pour vivre une expérience qui mène à des interrogations. C’est de la création pure. C’est abstrait et exigeant. Non seulement Snow réinvente son art, mais il réinvente aussi la place du spectateur. »

Du cinéma conceptuel ?
M. Lafleur salue également le sens de l’humour, voire l’autodérision, de Michael Snow. Ses films sont très difficiles à voir, et il le savait. En 2003, il a même fait paraître une version raccourcie de Wavelenght au titre évocateur, qui pourrait se traduire ainsi en français : WVLNT – WAVELENGTH Pour ceux qui n’ont pas le temps : 45 minutes à l’origine, désormais 15 minutes !
« Cela dénote son humour et confirme que son cinéma est conceptuel », note M. Lafleur. Or, si son cinéma est conceptuel, pourquoi le voir en salle, alors qu’on pourrait tout simplement se faire expliquer le concept, justement ?
« On ne peut pas faire de bande-annonce des films de Snow, explique le programmateur. C’est pratiquement le happening de la projection qui tient lieu du film, et la projection en salle est la seule condition possible dans laquelle on peut rendre compte de l’œuvre. La région centrale sur un petit écran, ça n’a pas spécialement d’intérêt. »
Ce sont donc cinq films en tout qui seront présentés dans le cadre de la rétrospective de la Cinémathèque, au cours du prochain mois. En plus de Wavelenght, le programme de mercredi rassemble Breakfast (Table Top Dolly) (1976) et New York Eye and Ear Control (1964), qui témoigne de l’attachement de Michael Snow à la musique, particulièrement au free jazz. On y aperçoit notamment ses amis Don Cherry et Gary Peacock, ainsi que sa célèbre figure de La femme qui marche, qu’il a reproduite dans de nombreuses œuvres. Le 8 avril, le long métrage Corpus Callosum (2002), qui incarne « une condensation des éternelles obsessions de Snow », selon M. Lafleur, sera également présenté.
Une programmation complémentaire au FIFA
Le Festival international du film sur l’art (FIFA), qui se déroule dans plusieurs salles à Montréal, à Québec et en ligne jusqu’au 2 avril, rend hommage au regretté Michael Snow cette année. La programmatrice de la section expérimentale du FIFA, Nicole Gingras, a sélectionné trois oeuvres de l’artiste, différentes de — et complémentaires à — celles qui sont présentées à la Cinémathèque.
Les festivaliers pourront ainsi découvrir la version raccourcie de Wavelenght, ainsi que les films So This Is (1982) et See You Later/Au revoir (1990). Peggy Gale, compagne de l’artiste, commissaire, historienne de l’art et spécialiste de la vidéo et du cinéma expérimental, sera d’ailleurs présente.
À la salle J.A. de Sève de l’Université Concordia, samedi 25 mars.