«Crépuscule pour un tueur»: l’humain derrière le crime

L’acteur Éric Bruneau, qui incarne Donald Lavoie, porte le film sur ses épaules dans le rôle principal.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’acteur Éric Bruneau, qui incarne Donald Lavoie, porte le film sur ses épaules dans le rôle principal.

Considéré par plusieurs comme le plus grand tueur à gages de l’histoire du Canada, Donald Lavoie a connu une existence digne d’un film de Martin Scorsese. Né à Chicoutimi, où il a grandi au sein d’orphelinats et de familles d’accueil, il rejoint en 1970 le clan Dubois, une importante organisation criminelle montréalaise. Donald Lavoie ne tarde pas à faire ses preuves, et à devenir le tueur à gages le plus redoutable du gang. Vingt-sept personnes sont mortes sous ses balles.

En dépit de son succès, la confiance du chef de la bande, Claude Dubois, s’effiloche. Doutant de sa loyauté, il met sa tête à prix. Pour échapper à une mort certaine, Donald Lavoie se tourne vers la police, permettant le démantèlement et l’arrestation des têtes dirigeantes du clan Dubois, et faisant de lui le premier délateur du Canada.

Pas étonnant, donc, que ce personnage monstrueux soit tombé dans l’oeil d’un cinéaste. Raymond St-Jean — surtout connu pour son travail documentaire (Une chaise pour un ange [2015], Louise Lecavalier. Sur son cheval de feu [2017]) — avait la jeune vingtaine lorsque les Canadiens ont appris l’existence d’un réseau criminel hautement organisé au pays. Toutes les semaines, les journaux faisaient leurs choux gras des assassinats, des enquêtes, des arrestations.

« Déjà à l’époque, j’étais conscient qu’il y avait une histoire à raconter. Il y a quelques années, lorsque j’ai souhaité faire un retour vers la fiction, Donald Lavoie m’a paru un personnage tout indiqué. » Songeant d’abord, à cause des contraintes techniques et budgétaires, à écrire une histoire moderne et complètement fictive, dans laquelle le tueur à gages serait forcé de faire un retour dans le monde criminel, le cinéaste se laisse convaincre par son coscénariste, Martin Girard, de raconter plutôt trois années charnières de la carrière de Lavoie, au cours desquelles il est passé de conquérant à paria, puis à délateur.

L’humain derrière le monstre

Cette décision, brillante d’un point de vue cinématographique, n’est pas venue sans son lot de questionnements éthiques. « On nous a demandé si le film glorifiait la criminalité. Je pense que ce n’est pas la bonne question à poser, réfléchit Martin Girard. Ce personnage ne mérite certainement pas la gloire au sens d’un héros, mais ce qu’il a vécu marque un tournant dans l’histoire de la criminalité au Québec. C’est pour lui que le Programme de protection des témoins a vu le jour. C’est un récit sur le thème de la réhabilitation. C’était donc essentiel pour nous de ne pas porter de jugement, mais de permettre au spectateur de s’identifier, de comprendre Donald Lavoie pour qu’il puisse tirer ses propres conclusions. »

Bien que le film n’oblitère pas la violence, le narcissisme, l’appât du gain, la misogynie et les abus de pouvoir, la volonté d’humaniser le personnage, de le complexifier, de laisser voir ses tourments, ses doutes et ses regrets, est bien présente.

On nous a demandé si le film glorifiait la criminalité. Je pense que ce n’est pas la bonne question à poser. Ce personnage ne mérite certainement pas la gloire au sens d’un héros, mais ce qu’il a vécu marque un tournant dans l’histoire de la criminalité au Québec. C’est pour lui que le Programme de protection des témoins a vu le jour. C’est un récit sur le thème de la réhabilitation.

Trouver l’humain derrière le monstre s’est d’ailleurs avéré essentiel pour qu’Éric Bruneau parvienne à se glisser dans la peau de Donald Lavoie, à assumer une interprétation qui s’avère par ailleurs d’une authenticité désarmante. « Au départ, je n’avais que deux entrevues et un livre comme matériel. J’ai mis peu de temps à frapper un mur. Je ne pouvais pas justifier de jouer un bandit psychopathe que je ne saisissais pas et qui me semblait juste motivé par la violence. »

Le comédien a alors fait appel à Luc Dionne, avec lequel il avait travaillé sur la série télévisée Blue Moon (2016-2018). « J’ai pu rencontrer des personnes clés, qui m’ont permis de comprendre une tonne d’affaires. Donald Lavoie parlait constamment du fait qu’il avait été abandonné par ses parents. C’était un grand narcissique, c’est certain, mais c’était aussi un enfant qui cherchait son père. Le public ne peut pas s’identifier à un tueur, mais à quelqu’un qui a besoin d’être validé, oui. J’avais ma brèche. Il consommait aussi énormément, il avait besoin de s’étourdir pour continuer, pour mener à bien ses missions. J’ai donc intégré cet aspect à mon jeu. »

Sobriété et discipline

Pour plonger les spectateurs dans l’atmosphère particulière des années 1970, Raymond St-Jean s’est inspiré des films, des techniques et de la photographie de l’époque. « J’avais une consigne de base : je ne veux pas de brun, d’orange ou de jaune », lance-t-il en riant. On se trouve donc plutôt en présence de tons de rouge, de bleu, d’acier qui donnent un rendu plus sobre, plus authentique et plus léger.

« J’ai revu des oeuvres de Don Siegel, William Friedkin, Sam Peckinpah, des gens qui travaillaient en milieu naturel, qui avaient un côté presque documentaire. Ça nous a amenés à ne pas imposer de technologie au film, à opter très souvent pour une caméra légère, portative, et pour des éclairages directs. Le directeur photo a pris le risque de tourner des scènes de nuit avec des contrastes élevés, comme ce qu’utilisaient les éclairagistes dans le temps, ce qui donne un côté plus cru aux images. »

En répliquant les bons coups de ces cinéastes de renom, Raymond St-Jean a également misé sur une certaine économie au niveau du montage, sur la discipline plutôt que sur la virtuosité. « Chaque plan a une fonction. Raymond sait capter les regards, les gestes, les corps en mouvement. Peu de gens parviennent à créer une telle tension dans les silences », souligne Éric Bruneau.

Comme l’histoire n’aurait pu se dérouler ailleurs qu’au Québec, les coscénaristes ont aussi tenu à ce que cette spécificité québécoise soit soulignée de plusieurs façons dans le long métrage, de la bande sonore — dans laquelle on peut entendre Renée Martel, Michel Pagliaro et Offenbach — aux images. « Les quatre saisons sont incluses dans le film. On passe de la chaleur de l’été à la vibrance de l’automne. À un moment, Donald Lavoie enfile des raquettes pour aller couper un sapin, évoquant un coureur des bois. On voulait que ça ne puisse être rien d’autre qu’un film québécois », conclut Martin Girard.

Le film Crépuscule pour un tueur prend l’affiche le 10 mars.

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