«Retour à Séoul»: par-delà la barrière de la langue, les émotions

Park Ji-min dans une scène tirée du long métrage de Davy Chou « Retour à Séoul »
Photo: Aurora Films Park Ji-min dans une scène tirée du long métrage de Davy Chou « Retour à Séoul »

Frédérique, dite Freddie, fut autrefois adoptée par une famille française. De sa Corée du Sud natale, elle ne conserve aucun souvenir. Sur un coup de tête,la vingtenaire décide de se rendre là-bas pour un court séjour. D’abord réfractaire à l’idée de retrouver ses parents biologiques, la voici qui accepte de faire la connaissance de son père, un homme, découvre-t-elle, brisé. De rencontres inopinées en grands et petits bouleversements, les jours se changent en mois. Dévoilé à Cannes, Retour à Séoul a valu maints éloges au cinéaste Davy Chou.

« Freddie est fortement inspirée d’une de mes amies proches, Laure, avec qui j’ai étudié. Lorsqu’on s’est connus, elle ne me parlait jamais de la Corée, et moi, je ne lui parlais jamais du Cambodge », confie le cinéaste, arrivé en France tout gamin avec ses parents.

« Un jour, à 25 ans, elle est soudainement partie en Corée, a rencontré son père biologique deux fois et sa mère biologique une fois. Puis, elle est rentrée en France en jurant qu’elle ne remettrait jamais les pieds en Corée. »

Quelques années plus tard, Davy Chou devait présenter son documentaire Le sommeil d’or, un projet des origines réalisé sur une période d’une année et demie au Cambodge, au Festival de Busan, en Corée du Sud. Et l’amie Laure, contre toute attente, de lui annoncer qu’elle l’accompagnerait.

« Elle est aussi imprévisible et impulsive que Freddie. Mais elle m’a précisé ceci : “On ne verra pas mon père, parce que je le déteste.” Or, au bout de trois jours là-bas à fêter et à voir des films, elle m’apprend qu’on ira rendre visite à son père le lendemain. »

S’ensuivit, exactement comme dans le film, un périple en autobus jusqu’à une ville côtière « un peu postindustrielle déprimée », dixit Davy Chou, où les attendaient le père et la grand-mère biologiques.

« J’avais anticipé des retrouvailles larmoyantes, mais j’assistais plutôt à un truc très sec, très silencieux ; des émotions trop fortes, trop contradictoires… La colère et la tension de mon amie, et en face d’elle, ce chagrin. C’était l’impossibilité de communiquer, c’était la barrière de la langue, la barrière de la culture… Il y avait là deux personnes avec plein de choses à se dire, mais qui étaient dans l’incapacité totale de se parler. »

Cet épisode marqua profondément Davy Chou. Peu après, il fit part à son amie de son désir d’en tirer un film. Elle y consentit aussitôt.

La perle rare

Avoir d’emblée la permission de son amie ne se solda pas pour autant par un processus facile. Il y avait forcément une certaine gêne, une certaine pudeur, dont le cinéaste devait s’affranchir.

« Il y avait tous ces doutes, jumelés à un désir de justesse. Est-ce que je vais être fidèle à mon amie ? Est-ce que je vais être à la hauteur, non pas de ses attentes, mais de son existence ? Parce que c’est une personne que j’admire énormément, qui me captive et m’inspire, avec toutes ses aspérités, sa dimension dure et brutale, son esprit de provocation, sa générosité infinie, sa capacité à défoncer les portes… son courage de s’en foutre de ne pas plaire… »

Cela étant, trouver l’actrice pour incarner un tel personnage, un personnage collant de si près à son modèle, dut être très ardu. Davy Chou opine avec l’air soulagé de quelqu’un qui sait que la chance lui a ultimement souri.

« C’est un rôle qui exigeait une capacité à accéder à des extrêmes émotionnels, une capacité à passer d’un extrême à l’autre, parfois dans la même scène, voire dans le même plan. »

Photo: Christophe Archambault Agence France-Presse Dans son troisième long métrage, le cinéaste franco-cambodgien Davy Chou réalise le portrait de Freddie, jeune femme française adoptée, débarquée en Corée du Sud, son pays natal, pour mieux se perdre ou se trouver.

Après avoir cherché et cherché en France des actrices d’origine coréenne, le cinéaste s’apprêtait à élargir sa recherche à d’autres pays lorsqu’un ami lui parla de Park Ji-min, une artiste visuelle.

« Il est également un Coréen adopté et un artiste, et elle était une amie à lui. Il discernait plein de similitudes entre elle et le personnage de Freddie, que je lui avais décrit. Park Ji-min n’est pour sa part pas adoptée : elle est née en Corée et est arrivée en France à neuf ans. Elle n’est pas comédienne non plus. Elle fait de la peinture, de la sculpture, de l’installation… »

Intrigué, Davy Chou invita Park Ji-min à prendre un café. Le rendez-vous dura trois heures. « À mon tour, j’ai reconnu de nombreux aspects contradictoires de la personnalité de Freddie : cette colère, ce côté destructeur, ce côté solaire, cette générosité… Lorsque j’ai fait un test caméra avec elle, elle s’est révélée incroyable. Je crois que ça découle de son travail d’artiste : Park est très honnête avec elle-même, et elle puise dans ses émotions intenses, qu’elle met ensuite dans ses oeuvres. Elle avait donc, d’une manière naturelle, cette affinité avec ces extrêmes émotionnels que je recherchais. »

Un regard aimant

De toutes ces amitiés et de tous ces hasards naquit un film singulier et fascinant à l’image, du moins le présume-t-on, de la jeune femme l’ayant inspiré. D’ailleurs, qu’en a pensé la principale intéressée ?

« Laure a assisté à la première, à Cannes. Je la sentais très fébrile, angoissée. L’accueil a été extraordinaire, et ellem’a dit être ravie du résultat. Par la suite, cependant, des sentiments contradictoires se sont fait jour en elle, et elle m’a avoué avoir un peu l’impression que je lui avais volé sa vie. Je ne vous mentirai pas en vous disant qu’elle a adoré le film et que tout a été merveilleux. Sauf qu’elle a revu le film, cette fois en compagnie d’autres personnes ayant été adoptées, en provenance d’un peu partout dans le monde. Et tous ces gens étaient émus et affirmaient se reconnaître dans le parcours et les réactions de Freddie. Ça l’a réconciliée avec le film. »

Un dénouement d’autant plus heureux que, tout du long, Davy Chou pose un regard non seulement empathique, mais affectueux sur son héroïne.

« C’est drôle que vous mentionniez ça, parce que c’est une question qui me hante. Comment ressent-on l’amour du regard de la personne qui filme sur la personne filmée ? Parce que, techniquement, un gros plan, c’est un gros plan. Est-ce chimique ? Est-ce que ça passe par l’angle de la caméra ? Est-ce que ça émane de l’interprète, qui sent qu’il, ou elle, est aimé ? Ça reste mystérieux pour moi, mais rien ne me bouleverse plus, au cinéma, que de sentir un regard aimant sur un acteur aimé. »

Le film Retour à Séoul prend l’affiche le 3 mars. François Lévesque a réalisé cette entrevue à Paris à l’invitation des Rendez-vous UniFrance.

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