«Annie Colère»: pour ne jamais décolérer

Une image tirée du film «Annie Colère»
Photo: Aurora Films/Local Films Une image tirée du film «Annie Colère»

À défaut d’être excitante, la vie d’Annie est satisfaisante, du moins le croit-elle lorsqu’on la rencontre au début du film Annie Colère. Ouvrière, elle est mariée à Philippe, avec qui elle a eu deux enfants. Le couple est très uni, mais ni l’un ni l’autre des conjoints ne désire un autre enfant. Aussi, lorsqu’Annie tombe enceinte, Philippe approuve-t-il la décision d’Annie d’avorter, même si, dans la France des années 1970, la procédure est illégale. Or, soutien ou pas, le fait est qu’Annie doit se dépatouiller seule. C’est ainsi qu’elle découvre le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC). Son existence en sera transformée : un parcours initiatique aussi émouvant qu’instructif que relate avec finesse la cinéaste Blandine Lenoir.

Comme elle nous le confiait en entrevue, la réalisatrice d’Aurore a effectué de longues recherches en amont de l’écriture du scénario qu’elle cosigne avec la journaliste Axelle Ropert. C’est patent, tant dans l’action que dans le propos.

Campé en 1973-1974, juste avant le dépôt de la loi Veil, qui décriminalisa l’avortement dans l’Hexagone, le film brosse le portrait captivant d’une femme « ordinaire » qui découvre en elle des ressources, et une force, extraordinaires.

Les conditions propices à cette prise de conscience commencent à se mettre en place lorsqu’Annie obtient un avortement sécuritaire effectué par un médecin en présence d’une bénévole du MLAC. La bienveillance du groupe, jumelée aux conditions sanitaires très sûres, la remue profondément. Certes, elle n’est pas prête à se joindre au MLAC pour autant : son travail, ses enfants, son mari…

Or, lorsque sa voisine et amie périt tragiquement des suites d’un avortement clandestin, comme tant d’autres femmes (les chiffres avancés glacent le sang), la Annie timorée devient la Annie colère du titre. Une colère peut-être pas sainte, mais en tout cas saine. Car c’est grâce à elle qu’Annie décide pour la première fois de combattre la profonde injustice qu’elle ressent dans son coeur et dans ses tripes. Concrètement.

La voici donc qui s’implique auprès du MLAC, qui apprend même à pratiquer la procédure abortive… Mais voilà qu’après s’être réjoui de la voir se politiser comme lui, qui est syndicaliste, Philippe se braque : et le travail, et les enfants, et lui… ?

Formidable Laure Calamy

S’il partage maintes similitudes narratives avec Call Jane (Nous sommes Jane), de Phyllis Nagy, produit concurremment, Annie Colère se révèle encore plus nuancé, et de surcroît plus étoffé en ce qui concerne le contexte sociopolitique revisité.

À la réalisation, Blandine Lenoir privilégie une sobriété judicieuse, mais n’en fait pas moins parler l’image. Par exemple, elle montre d’abord Annie en plans larges avec ses enfants, avec sa fille aînée en particulier, avant d’y aller de plans serrés exprimant une proximité nouvelle (sur fond de transmission de savoir) entre la mère et sa fille adolescente.

Copieux mais justifiés, les extraits d’archives télévisées ajoutent à l’impression d’authenticité. À cet égard, on reconnaît avec bonheur, en la personne d’une blonde bourgeoise qui accueille le MLAC, une version à peine déguisée de l’actrice Delphine Seyrig : en son temps, la vedette du Charme discret de la bourgeoisie fut très militante.

Enfin, il importe de signaler le travail formidable de Laure Calamy, qui, après À plein temps et L’origine du mal, offre avec son Annie une autre performance mémorable. Un film pour se souvenir ou pour apprendre et, surtout, pour ne jamais décolérer.

Annie Colère

★★★★

Drame de Blandine Lenoir. Avec Laure Calamy, Zita Hanrot, India Hair, Rosemary Standley, Yannick Choirat, Damien Chapelle. France, 2022, 120 minutes. En salle.

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