Être Noire en dehors des mythes

Lorsqu’elle a commencé à jouer au cinéma, Ayana O’Shun a constaté à quel point sa condition de « femme noire » la confinait à certains rôles stéréotypés. « J’ai interrogé d’autres actrices noires ou racisées autour de moi, et ce sont à peu près les mêmes choses qui ressortaient », dit-elle. Pour son premier long métrage documentaire Le mythe de la femme noire, Ayana O’Shun a regroupé les stéréotypes entourant les femmes noires autour de trois figures : la Jézabel, femme fatale et hypersexualisée, la mamma ou la nounou, plantureuse et généreuse, et la femme noire en colère, au comportement excessif.
« J’ai fait de la recherche. Je suis allée lire là-dessus, ajoute-t-elle. Et plus je lisais, plus je remontais dans le passé. Et j’ai découvert que ces stéréotypes avaient été inventés il y a plusieurs siècles, et qu’ils avaient descendu les siècles pour se retrouver au cinéma ou à la télévision. »
Or, ces stéréotypes ne correspondent à rien, poursuit-elle. Au sujet de la nounou qui sourit et qui est bien enrobée, elle ajoute qu’au temps de l’esclavage, « il n’y avait pas d’esclaves obèses, poursuit-elle. Et l’espérance de vie ne dépassait souvent pas trente ans ». De même, l’archétype de la Jézabel, femme noire hypersexualisée, n’avait pas sa place dans le contexte esclavagiste. « La plupart du temps, c’était des enfants. On les faisait venir, enfants ou adolescentes, on les violait pour faire une progéniture métisse », avance Ayana O’Shun. Dans la Bible, Jézabel est la femme qui a détourné le roi Achab du dieu d’Israël.
Ces stéréotypes-là sont basés sur du vent. La caricature de la femme noire en colère est apparue plus tard, au début du XXe siècle, analyse-t-elle, pour saper les mouvements qui élevaient la voix contre les mauvais traitements des Noirs.
Pour réaliser son documentaire, Ayana O’Shun a rencontré 21 femmes du Québec, philosophes, actrices, militantes, chroniqueuses, entrepreneures. Celles-ci donnent leur ressenti et témoignent de l’impact de ces stéréotypes dans leur vie.
Je voulais non seulement exposer ces stéréotypes et les déconstruire, mais surtout parler des conséquences que cela a dans la vie des femmes noires. En même temps, je ne voulais pas faire un film de victimes.
Souvent, leur histoire illustre de façon éclatante le propos d’Ayana O’Shun. Ainsi, une femme raconte comment son patron qui venait de se marier lui a un jour demandé d’accompagner sa femme dans l’acte sexuel pour lui montrer comment faire. La philosophe Agnès Berthelot-Raffard explique le phénomène ainsi : « Les Blancs ont souvent pensé que leurs femmes étaient pures. Mais si vos femmes sont pures, il faut qu’il y ait quelqu’un avec qui vous pouvez être vous-mêmes. »
Elle-même dit avoir souffert du stéréotype qui fait des femmes noires des nounous, ou, plus près de nous, des infirmières ou des préposées aux bénéficiaires, alors qu’on la confondait avec une professeure d’études infirmières. Dans tous les cas, il s’agit, notamment lorsque ces clichés sont portés à l’écran, de caractères simplifiés à l’extrême, frôlant souvent la caricature.
L’esclavage de la couleurde la peau
La militante Diane Gistal raconte pour sa part comment sa petite soeur, dont la peau était beaucoup plus foncée que la sienne, a souffert davantage qu’elle de discrimination, notamment à l’école. Le documentaire lève d’ailleurs le voile sur l’usage des crèmes éclaircissantes dont plusieurs femmes noires font usage. Ces crèmes, qui ont pour effet de rendre la peau plus grise, explique Ayana O’Shun, sont présentées comme des crèmes « nettoyantes » et sont dangereuses pour la santé.
« Moi, je suis noire de peau, raconte Ayana O’Shun. Parce que j’ai été élevée par une femme merveilleuse qui m’a toujours dit que ma peau était belle, je n’ai pas eu l’impression d’être moins bien qu’une femme avec la peau plus claire. Mais je savais très bien que les femmes qui avaient la peau plus claire et les cheveux plus longs et soyeux étaient considérées comme les plus belles chez les Haïtiens ou ailleurs. »
Ce phénomène, qu’on appelle le colorisme, demeure très fort aujourd’hui : les femmes plus claires ont, dit-elle, davantage de possibilités professionnelles, et ont davantage de succès auprès des hommes. Mais il était déjà présent dans les sociétés esclavagistes. « Les femmes plus claires valaient plus cher comme esclaves et elles pouvaient être plus proches des maisons des propriétaires. Elles devenaient des esclaves de maison, et faisaient un travail domestique moins exigeant que le travail dans les plantations », dit Ayana O’Shun.

Dans le documentaire, l’animatrice et autrice Geneviève Young raconte avoir, devant le gâteau d’anniversaire de ses quatre ans, formulé le souhait de devenir blanche…
De même, le port de cheveux naturellement crépus a un impact direct sur la façon dont les autres perçoivent les femmes noires, comme le raconte, dans le documentaire, l’actrice Patricia McKenzie.
« Je voulais non seulement exposer ces stéréotypes et les déconstruire, mais surtout parler des conséquences que cela a dans la vie des femmes noires. En même temps, je ne voulais pas faire un film de victimes. Je voulais rencontrer des femmes qui disent oui, ces stéréotypes existent, mais qu’est-ce qu’on fait pour essayer de bâtir sa propre identité ? » dit Ayana O’Shun.
Ayana O’Shun est sûrement elle-même l’un de ces modèles. Née Tetchena Bellange, elle a signé sous ce nom son premier moyen métrage, Les mains noires, qui portait sur le sort de Marie-Angélique, cette esclave noire accusée d’avoir incendié Montréal en 1734. Depuis, elle a choisi de prendre un nom plus proche de ses lointaines origines africaines.