«Rodéo»: Un amour gros comme un camion

La réalisatrice de « Rodéo », Joëlle Desjardins Paquette, avec Maxime Le Flaguais et Lilou Roy-Lanouette, qui jouent un père et sa fille qui prennent la route pour se rendre à un festival de camionneurs en Alberta.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir La réalisatrice de « Rodéo », Joëlle Desjardins Paquette, avec Maxime Le Flaguais et Lilou Roy-Lanouette, qui jouent un père et sa fille qui prennent la route pour se rendre à un festival de camionneurs en Alberta.

Ils ont une beauté bien à eux, ces camions, semble-t-il, avec leurs dix-huit roues solidement alignées, leur klaxon tonitruant et leur ribambelle de phares et de lumières.

Le dix-huit roues de marque Kenworth que conduit Maxime Le Flaguais dans le film Rodéo, signé Joëlle Desjardins Paquette, est sûrement un personnage à part entière de l’histoire. C’est d’ailleurs l’univers des festivals de camionneurs, que la réalisatrice a fréquenté dans son enfance, qui a inspiré le scénario du film, où un père, blessé par une séparation récente, part en cavale avec sa fille.

« J’adorais aller dans ces festivals avec mon père », raconte la réalisatrice en entrevue. Le vacarme des klaxons, le déluge de lumière, tout y était matière à amusement pour les enfants.

Si le festival de camions des Badlands, où Serge junior et sa fille rêvent de se rendre, est fictif, celui de Baie-du-Febvre, Challenge 255, où les scènes de courses de camionneurs ont été tournées, est bien réel. Maxime Le Flaguais a d’ailleurs dû apprendre à manoeuvrer son mastodonte pour pouvoir y participer en cours de tournage. Cet univers, c’est celui où Joëlle Desjardins Paquette a grandi jusqu’à la séparation de ses parents. Son père, qui travaillait pour Kenworth, l’emmenait alors régulièrement dans ses festivals de camionnage, où elle adorait aller.

Mais là s’arrête la part autobiographique de ce film, dans lequel Serge junior (Maxime Le Flaguais) partage l’écran, ou plutôt la cabine exiguë de son camion, avec la jeune Lily (Lilou Roy-Lanouette). Ces huis clos à la fois tendres et tendus entre un père et sa fille sont entrecoupés de paysages somptueux, dans ce road movie à travers le Canada ponctué, comme il se doit, d’arrêts aux restaurants rapides et aux stations-service.

« Le festival des Badlands est fictif », raconte Joëlle Desjardins Paquette, mais le tournage a réellement été fait entre l’Alberta et Montréal, en passant par l’Ontario.

Cela faisait un moment que la réalisatrice avait l’oeil sur Lilou Roy-Lanouette, qu’elle avait remarquée dans Jouliks, de Mariloup Wolfe. Avec son côté un peu tomboy, la jeune actrice semblait tout indiquée pour incarner cette petite fille déchirée entre ses deux parents qui n’a pas froid aux yeux et qui pratique le karaté.

« Mettons, mes parents se sont séparés, donc je comprends un peu, dit-elle en entrevue. Moi aussi, je suis un peu tomboy. J’aime ça faire du sport et bouger. » Pour la comédienne de 12 ans, jouer au cinéma n’est « pas vraiment un travail, mais une activité qui dure longtemps ».

La connivence avec son partenaire, Maxime Le Flaguais, a par ailleurs tout de suite opéré. « Vous nous voyez niaiser dans le film, mais c’est vraiment comme ça dans la vraie vie », dit-elle.

Les deux personnages partagent le rêve de participer à ce rodéo. Mais le père, bien sûr, porte seul son drame et son secret.

« Il est pris avec son secret, dit Maxime Le Flaguais en entrevue. Il essaie de rendre son enlèvement agréable et ludique. »

Au cours du film, le personnage de Serge Junior oscille ainsi entre une image de protecteur et d’irresponsable. « On ne craint pas pour la petite, sauf quand ça fait deux jours qu’il conduit et qu’il ne s’est pas reposé. Il va s’acheter un fusil. Ce n’est pas sécuritaire, un revolver, mais c’est pour la protéger », ajoute le comédien.

Pourtant, Serge junior est aussi coincé dans un rêve naïf. « À un moment donné, il lui demande si elle aimerait ça habiter tout le temps avec son papa. Elle lui répond : “Ben non, je m’ennuierais bien que trop de maman.” C’est un grand idéal, mais c’est d’une grande naïveté. »

Un « road trip » entre père et fille

Au terme d’une altercation avec le nouveau conjoint de son ex, qui menace de lui retirer la garde de sa fille, Serge junior se laisse tenter par l’idée de réaliser un grand rêve : partir en road trip avec son enfant pour participer à un rodéo de camions dans les Badlands, en Alberta. S’ensuit un huis clos entre père et fille, mi-ludique, mi-inquiétant, habilement joué par Maxime Le Flaguais, en père aimant et irresponsable, et Lilou Roy-Lanouette, en petite fille volontaire, affectueuse et déchirée. Tout le film de Joëlle Desjardins Paquette tient dans cette tension entre père et fille, et dans la démesure clinquante de l’énorme dix-huit roues dans lequel ils se déplacent. Un dix-huit roues comme symbole d’un amour énorme, mais dangereux, dont les dérapages demeurent contrôlés jusqu’à la fin, alors que le spectateur est laissé dans l’expectative d’une conclusion à venir.

Rodéo

★★★ 1/2

Comédie dramatique de Joëlle Desjardins Paquette, Québec, 2022, 80 minutes.



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