«Une belle course»: la traversée de Paris selon Dany Boon et Christian Carion

Line Renaud et Dany Boon dans le film «Une belle course»
Photo: AZ Films Line Renaud et Dany Boon dans le film «Une belle course»

Charles, la cinquantaine, est un chauffeur de taxi un brin aigri : soucis d’argent, principalement. Peu amène, limite misanthrope, il prend à son bord Madeleine, 92 ans, qui quitte ce jour-là sa maison pour de bon. En route vers le foyer pour personnes âgées où elle demeurera dorénavant, la dame insiste pour s’arrêter en ces lieux qui comptèrent jadis pour elle, pour le meilleur et parfois pour le pire. Au cours de cette traversée de Paris qu’il accepte d’abord pour des motifs pécuniaires, Charles abaisse graduellement sa garde. Road movie intimiste, Une belle course réunit la vedette et le réalisateur du succès Joyeux Noël, Dany Boon et Christian Carion, rencontrés l’automne dernier au TIFF.

Le film met en outre en vedette Line Renaud, déjà complice de Dany Boon dans La maison du bonheur, et surtout Bienvenue chez les Ch’tis et sa suite, films qu’il avait lui-même écrits et réalisés.

« J’ai une histoire particulière avec Line », confie Dany Boon.

« Nous venons tous les deux de la même ville : Armentières, dans le nord de la France. On a un petit écart d’âge, pas beaucoup — par rapport à l’univers, c’est très peu. Je l’ai souvent vue se produire, enfant, car elle revenait chanter gratuitement lors de la fête annuelle des Nieulles. Si je vous dis tout ça, c’est parce que Line, elle a ouvert la voie en nous montrant qu’on pouvait venir d’Armentières et réussir dans ce métier. La première fois que je me suis produit à l’Olympia, elle m’a envoyé un mot très touchant. Et bref, avec Line, ça a démarré comme ça, sur une note affective, familiale, le côté “ Ch’tis qui se retrouvent”. » 

Des années plus tard, c’est Dany Boon qui présenta Line Renaud à Christian Carion, lors de la première de Joyeux Noël, en 2005. « Elle avait exprimé le souhait qu’on travaille ensemble, se souvient le cinéaste. Il aura fallu 15 ans, mais nous y sommes arrivés ! Le plus étrange, et ce n’était pas du tout prévu, c’est qu’il y a de nombreux parallèles entre la vie de Line et celle de son personnage, Madeleine. Il y a des moments dans le film où j’ignore si c’est Line ou Madeleine, à l’écran. »

Parlant de Joyeux Noël, ce récit campé durant la Première Guerre mondiale possédait un côté fresque historique et une ampleur visuelle assortie. Les autres films de Christian Carion, comme Une hirondelle a fait le printemps et Mon fils (et son remake), se déploient eux aussi dans de vastes panoramas naturels. À l’inverse, une bonne partie de l’action d’Une belle course se déroule dans l’habitacle d’une voiture, en ville.

« C’est vrai qu’il y a un contraste marqué avec mes films précédents. C’était davantage des films “du dehors”, tandis que celui-là, c’est un film résolument “ du dedans”. Bien sûr, il y a tous ces flash-back de la vie de Madeleine, mais le film a un côté huis clos qui me plaît. »

Et qui plut également aux deux vedettes, de préciser Dany Boon.

 

« Line et moi étions très heureux d’être confinés ensemble dans cette voiture. Elle est d’abord assise à l’arrière, puis à l’avant avec moi… D’ailleurs, nous avons tourné le film dans la continuité temporelle de l’histoire, ce qui est un grand luxe. Ce que le film raconte se prête bien à cette intimité. Au commencement, c’est juste un taxi avec ce chauffeur abîmé par la vie, qui a un peu oublié qu’il était humain, et c’est le personnage de Line qui va lui nettoyer l’âme. »

Vouloir du bonheur

De maintes façons, le rôle de Charles constitue un contre-emploi pour Dany Boon, qu’on associe plus volontiers au registre comique que dramatique. Pour l’acteur, c’était d’abord une question d’ambiance et d’approche.

« Christian a très bien su nous mettre en confiance, afin qu’on se livre complètement, Line et moi. »

« Je leur ai donné de la liberté, intervient Christian Carion. Vous savez, quand je tourne un film, j’ai horreur du malaise et des tensions. On a la chance de faire un métier formidable, de raconter des histoires incroyables, alors moi, sur un plateau, je veux du bonheur. Je tâche que tout le monde se sente bien. Jouer, je crois que c’est quelque chose de très difficile, parce que ça fait appel à une part d’intime, et dès lors, ça engendre une vulnérabilité. Et je pense que si on parvient à rendre les interprètes à l’aise, ils donnent des choses meilleures que si on les torture. »

Fait intéressant, il s’en fallut de peu pour que le film, du moins dans son incarnation présente, ne se fasse pas, faute de financement et d’une star pour le défendre.

« Ce film, nous l’avons produit nous-même, de manière indépendante »,explique Christian Carion, à qui on proposa une version du scénario qu’il retravailla considérablement.

« Au départ, j’ai approché Dany en sachant qu’il avait décliné de jouer dans le film à la lecture de cette première version, mais qu’il lui arrivait de cofinancer des films qui ont du mal à se monter. »

« J’investis souvent dans de beaux projets qui, pour une raison ou une autre, peinent à se faire [comme Varda par Agnès, ultime série documentaire d’Agnès Varda], opine Dany Boon. Or, sachant que Line et Christian étaient désormais à bord, et que Christian avait remanié le scénario, je l’ai relu. À la fin, j’étais en larmes. Il était hors de question que je ne joue pas dans ce film. »

Une allégorie de la vie

Une décision heureuse, car d’après Christian Carion, seuls Dany Boon et Line Renaud étaient en mesure de faire d’Une belle course le film qu’il est.

« Compte tenu de tout leur bagage commun, de leur amitié dans la vie, il n’y avait que ces deux-là pour jouer comme ça dans ce film-là », estime le cinéaste.

Pour sa part, Dany Boon se félicite de s’être ravisé, Une belle courses’étant avéré, pour lui, une expérience humaine d’une rare intensité.

« Je garde un souvenir ému des moments de pure complicité entre Line et moi, qu’il s’agisse des passages de fous rires ou d’émotion. Ce film, pour moi, c’est une sorte d’allégorie de la vie. On traverse la ville comme on traverse une vie, en faisant des détours imprévus, ou en prenant soudain le chemin le plus long dans l’espoir de tromper la mort… Sauf qu’il y a toujours un moment où ça doit s’arrêter. Et Line, elle a l’âge qu’elle a [93 ans lors du tournage], alors elle me parlait parfois de sa propre fin, et je ne voulais pas l’entendre, car c’était trop douloureux. Mais en même temps, c’était exactement là où l’histoire menait nos personnages… C’est d’autant plus vrai que dans le film, on part de l’est, où le soleil se lève, et on va vers l’ouest, où il se couche. »

Le film Une belle course prend l’affiche le 20 janvier.

À voir en vidéo