«Des tonnes de copies» pour les amoureux de la cassette

La municipalité de Saint-Lin–Laurentides, dans Lanaudière, a toutes les apparences des petites communautés typiques du Québec. Au centre, la grande église de pierre côtoie une caisse Desjardins, avec quelques maisons au cachet ancestral ici et là. Dans ce décor immuable, une vision surprenante, qu’on croyait pourtant disparue à jamais, émerge : un Superclub Vidéotron.
À l’intérieur, la réconfortante odeur de maïs soufflé au beurre accueille le visiteur. Dans les allées, où l’on trouve des centaines de DVD et qui sont séparées entre les traditionnelles sections comédie, action, drame ou séries télé, des affiches annoncent trois films en nouveauté pour 13,99 $, ou trois films pour sept jours à 6,99 $. Le lieu, qui s’accroche à une époque qui s’estompe, attire quelques pèlerins.
Serge Brissette et Johanne Therrien, qui sont venus de Joliette, voulaient voir l’endroit de leurs propres yeux. « Je lui disais : oui, ça existe encore. Je lui ai envoyé une photo hier, et on s’est ensuite dit qu’on irait faire un tour », lance la femme dans la soixantaine, qui fouille parmi les dizaines de DVD mis en vente. « Il y a un côté nostalgique. »
Le lieu rappelle le rituel de se promener dans les allées en regardant les pochettes et en lisant les résumés des films, pour ensuite en choisir quelques-uns et les écouter en famille ou entre amis. Seuls deux magasins Vidéotron offrant la location de films sont encore en activité au Québec, le second étant à Mont-Laurier.
« On se bat entre nous pour être le dernier ouvert », lance à la blague la propriétaire à Saint-Lin–Laurentides, Chantal Lortie, qui possède l’immeuble depuis plus de 20 ans. Auparavant un cinéma de plusieurs centaines de places, dont les vestiges sont encore présents au sous-sol, le lieu a toujours été associé aux films par la population locale.
« Ça va sonner drôle [ce que je vais dire], mais il y a eu les perrons d’église, puis il y a eu les clubs vidéo, dit-elle. J’ai vu des dizaines de clients entrer ici, tomber sur un ami, jaser, et ne même pas avoir le temps de louer un film. Des gens les vendredis soir, à discuter entre deux allées, j’ai vu ça un nombre incalculable de fois. »
Il n’y avait pas de filtres dans les clubs vidéo. On pouvait découvrir sa cinéphilie à partir de rien.
Celle qui est également conseillère municipale a parfois fait les choses en grand avec son mari. Lors du lancement du quatrième volet de la saga Twilight, il y a une dizaine d’années, elle a loué un piano à queue et a retenu les services d’un pianiste, qui avait appris les chansons du film. « Il y avait 350 personnes dans le magasin », se remémore-t-elle. Pour souligner l’arrivée du jeu vidéo Call of Duty: Infinite Warfare, le couple a réquisitionné des véhicules aux couleurs de l’armée, des vétérans et un escadron de cadets, et a organisé plusieurs mises en scène spectaculaires à l’intérieur comme à l’extérieur du magasin.
« Ce qui me rend le plus triste, ce sont les générations qui ne connaîtront pas ça, se désole Chantal Lortie. Aller louer un film, c’était un événement social. »
Sections pornos
Avec les clubs vidéo venaient inévitablement les discrètes sections de films pour adultes, que les propriétaires tentaient de cacher du regard des plus jeunes. Dans la rue Ontario, entre les rues Berri et Saint-Hubert, l’ancien DVDO était notamment connu pour sa gigantesque section de films pornographiques, qui avait son propre comptoir avec des préposés et sa sortie indépendante dans l’immeuble.
« Les patrons étaient rigides quant aux personnes qui pouvaient y travailler. Ils n’étaient pas particulièrement à l’aise avec l’idée que des filles travaillent dans cette section, parce qu’ils ne faisaient pas confiance aux clients, se rappelle Ariane Brisson, 35 ans, qui a travaillé dans la section ordinaire il y a plusieurs années, lorsqu’elle étudiait au cégep. Une fille y a travaillé, mais elle avait un look vraiment punk et rough. »
« Comme job relax, le club vidéo, ça “scorait” haut », ajoute-t-elle en riant. Les employés choisissaient les films qui étaient diffusés sur les écrans de télévision en magasin et les écoutaient d’une oreille distraite, en servant les clients. L’adresse de ces derniers était inscrite dans les ordinateurs, et Ariane Brisson se rappelle une rumeur qui circulait alors concernant le propriétaire du DVDO, qui était exaspéré quand les clients ne retournaient pas les films loués. « Selon cette rumeur, il débarquait directement chez les gens pour leur dire qu’ils avaient nos films », raconte-t-elle.
Celle qui a maintenant deux enfants s’ennuie du rituel de la location de films en magasin et du lien qui se développait entre les employés et les clients. « Pour mes filles, un club vidéo, c’est quelque chose d’un peu abstrait », dit-elle.
La bonne vieille vidéocassette
Au cours des dernières décennies, les DVD ont remplacé les vidéocassettes. Les plateformes de diffusion en ligne ont ensuite pris toute la place. Certains valeureux irréductibles, comme Jonathan Fillion, préfèrent toutefois encore écouter des films sur cassettes.
« J’ai toujours aimé le cinéma, ça me rappelle des souvenirs », lance l’homme de 45 ans qui gère la page Facebook « Le shack à Johnny », qui réunit des passionnés. Celui-ci possède une impressionnante collection de plus de 10 000 vidéocassettes, ainsi qu’une quinzaine de magnétoscopes.
« Dans le temps, les dépanneurs, comme celui de mon oncle, avaient des VHS à louer », se rappelle-t-il. « J’ai connu la période où, quand on arrivait au club vidéo, toutes les copies du film qu’on voulait voir avaient été louées et on devait se mettre sur une liste d’attente », ajoute-t-il en riant.
Dans des groupes Facebook que Le Devoir a consultés, des milliers de passionnés vendent et achètent de précieuses vidéocassettes. Celles-ci coûtent généralement entre 2 $ et 5 $, mais certaines s’élèvent à 25 $ ou 100 $, et dépassent même parfois 300 $. « Les VHS qui ne sont pas disponibles en DVD et qui sont doublées en français coûtent plus cher, et aussi les VHS de films d’horreur des années 1970 et 1980 », explique Jonathan Fillion.
Mathieu Lavigne, un autre cinéphile de 35 ans qui possède plusieurs centaines de VHS, en plus d’écouter des films sur d’autres supports, a toujours aimé manipuler les pochettes en cherchant, par exemple, celle qui est la plus gore ou la plus criarde.
« Il n’y avait pas de filtres dans les clubs vidéo, dit-il. On pouvait découvrir sa cinéphilie à partir de rien. » Il y a des films qui ne seront jamais sur Netflix, ajoute-t-il. « Le club vidéo te laissait louer ce que tu voulais quand tu le voulais, dit-il. Contrairement à une plateforme de diffusion qui va te dire, par exemple, qu’à partir du 31 décembre, elle perd une entente de distribution. »