«L’origine du mal»: les liens du sang et les liens sanglants

Stéphane est anxieuse. Et pour cause : la jeune femme orpheline de mère s’apprête à rencontrer son père pour la toute première fois. Or, si Serge accueille à bras ouverts sa progéniture illégitime dans sa vaste demeure, il en va autrement de son épouse, Louise,et de leur fille, George. Quoique, rapidement, Stéphane en vient àtrouver étrange, voire inquiétante, l’ambiance qui règne au sein de sa nouvelle famille. Mais d’ailleurs, Stéphane est-elle, elle-même, qui elle prétend être ? Autant de questions que Sébastien Marnier s’amuse à lancer aux cinéphiles dans son insidieux et séduisant L’origine du mal.
« Tout le film épouse le point de vue de Stéphane, qu’incarne Laure Calamy », explique le cinéaste français rencontré lors de son passage à Cinemania cet automne.
« C’est donc dire que le public voit et découvre les choses avec elle, en même temps qu’elle. Et comme Stéphane, le public se demandera si telle personne est une alliée ou une ennemie. Évidemment, je me suis arrangé pour que rien ne soit simple. »
Ceci expliquant cela, dans L’origine du mal, plusieurs personnages se révèlent ne pas être tout à fait qui ils prétendent être — pas tant sur le plan identitaire que sur celui des intentions et des motivations. À cet égard, il y a à l’oeuvre, dans le film, une sorte de ludisme pervers assez séduisant.
« Construire du suspense, dès l’étape de l’écriture, est un exercice que j’adore. Je l’ai fait pour mes trois films [voir les précédents Irréprochable et L’heure de la sortie]. Dans tous mes films, il y a des twists, et c’est vrai que moi-même, j’adore ça comme spectateur : me faire balader, me faire surprendre. Dans ce film-ci, je m’autorise tellement de rebondissements que ça devient à dessein presque un soap. »
Un « soap », certes, mais infusé de touches de violence crue et d’un humour très, très noir : un beau mélange.
« C’est un récit excessif, pas forcément crédible en tout, mais c’est assumé, et surtout, les surprises fonctionnent dans l’univers narratif du film. Pour le coup, très vite, j’ai voulu que les personnages soient des antagonistes par rapport à eux-mêmes. J’entends par-là que, dans la vraie vie, les êtres humains sont bourrés de contradictions. Chacun possède sa part monstrueuse, mais également lumineuse et touchante. Or, défendre ce genre de parti pris, ça peut drôlement compliquer le financement », laisse entendre Sébastien Marnier au sujet de son film, une coproduction France-Québec (par l’entremise de la société micro_scope).
Le bal des monstres
C’est à un véritable bal des monstres que l’on a droit. Dès lors, la question consiste à déterminer lequel d’entre eux est le moins mauvais.
La talentueuse distribution mord à belles dents dans une pléthore de rôles hors normes. Dans celui de Stéphane, Laure Calamy (Antoinette dans les Cévennes) est parfaite de vulnérabilité et d’ambiguïté sous-jacente, tandis que dans celui de sa « belle-mère », la trop rare Dominique Blanc (si mémorable dans La reine Margot) opte pour un jeu théâtral de circonstance, sa Louise étant constamment en représentation.
Dans une partition dont on taira la nature, Suzanne Clément (Laurence Anyways) épate comme à son habitude (à signaler du côté de l’apport québécois : la musique de Pierre Lapointe et de Philippe Brault).
« Certains personnages ont commencé à prendre forme avant même que le récit soit terminé. Et il y a aussi le fait que les personnages continuent d’évoluer après, en fonction des interprètes choisis. Dans ce cas-ci, c’est Laure qui a dit oui la première, et c’est à partir d’elle que j’ai composé le reste de la distribution. J’ai voulu réunir des actrices et des acteurs issus de toutes sortes d’horizons : théâtre subventionné, théâtre indépendant, cinéma d’auteur, cinéma populaire… J’y tenais, parce que, métaphoriquement, j’avais l’impression que ça correspondait à ce que je percevais de cette famille : des gens qui, à part les liens du sang, n’ont rien à voir les uns avec les autres. »
Penser films
Il en résulte un clan bourgeois dont les secrets et turpitudes finissent par révéler un coeur pourri derrière la luxueuse façade : Claude Chabrol aurait jubilé, y compris au dénouement, qui cite de manière oblique La cérémonie. En l’occurrence, donner à la protagoniste le prénom de Stéphane, comme dans « Stéphane Audran », muse incontestée de Chabrol, n’est pas un choix innocent.
Avec sa séquence d’ouverture campée dans un vestiaire féminin et son recours ingénieux à l’écran partagé (split screen), le film revendique en outre haut et fort l’influence de Brian De Palma.
« Alors l’ouverture, oui c’est Carrie, opine Sébastien Marnier. Vous savez, ma vie tourne entièrement autour du cinéma. J’ai vu, et je vois des tas de films. De telle sorte qu’après, tout, mais alors tout me fait penser à des films. Pour moi, ça devient davantage des guides que des hommages. La grammaire cinématographique que j’utilise participe à ce désir de balader le public. Ma cinéphilie s’est bâtie autour du thriller, de l’horreur et du fantastique. J’ai par exemple été très marqué par cette période du cinéma hollywoodien du début des années 1990 riche en personnages féminins dangereux, mais complexes et fascinants : Basic Instinct, The Hand that Rocks the Cradle (La main qui berce l’enfant), Single White Female (Jeune femme cherche colocataire)… »
De conclure Sébastien Marnier : « Autant je voulais, avec ce film-ci, dire quelque chose sur ma vision de la famille et de la société, autant je voulais offrir un film qui soit complètement jouissif. »
Avec tout cela, vous croyez avoir deviné le fond de l’affaire ? Cherchez encore !
Le film L’origine du mal prend l’affiche le 13 janvier.