«Le sixième enfant»: la pudeur par le suspense

C’est ce qu’on appelle une entrée dans la cour des grands avec bruit et fracas. Léopold Legrand porte bien son nom, l’avenir le confirmera. Premier long métrage de ce réalisateur français, Le sixième enfant est un film déchirant, à l’efficacité viscérale, qui émeut aux larmes. Legrand adapte ici le roman Pleurer des rivières, d’Alain Jaspard, lui-même tiré d’un fait divers. L’histoire du livre est celle d’un couple aisé, voire très aisé, qui achète un bébé à un couple pauvre. Mais le jeune réalisateur a mené son scénario bien plus loin. Dans la version que vous découvrirez — osons-le, que vous devez absolument découvrir — prochainement dans les salles obscures, la morale est bien plus floue.
Franck (Damien Bonnard), ferrailleur gitan sans le sou, et sa femme Meriem (Judith Chemla) sont déjà parents de cinq enfants quand ils font la connaissance de Julien et d’Anna (Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau), un couple d’avocats qui ne peut pas avoir d’enfants. La nouvelle d’un sixième enfant à venir est une enclume de plus aux pieds de Franck et de Meriem. Les deux vont donc proposer l’impensable à Julien et à Anna : acheter ce sixième enfant.
J’ai été touché par le personnage d’Anna et par la souffrance que peut être l’injustice de ne pas pouvoir être mère. J’ai également été touché par Meriem, qui croit que ce sixième enfant sera plus heureux loin d’elle. Il y avait là deux détresses à explorer qui m’intéressaient. Ce sont des êtres qui combattent des injustices biologiques, sociales que je voulais montrer sans pathos, sans misérabilisme.
« Cette histoire d’échange d’enfant contre un camion m’a fait d’abord juger sévèrement les personnages du roman. Puis, au fil des chapitres, j’ai perdu mes repères moraux », confie le réalisateur de Sixième enfant, qui a fait lui-même l’adaptation et le scénario. « J’ai été touché par le personnage d’Anna et par la souffrance que peut être l’injustice de ne pas pouvoir être mère. J’ai également été touché par Meriem, qui croit que ce sixième enfant sera plus heureux loin d’elle. Il y avait là deux détresses à explorer qui m’intéressaient. Ce sont des êtres qui combattent des injustices biologiques, sociales que je voulais montrer sans pathos, sans misérabilisme. »
« Raconter au plus près des personnages »
C’est donc par moult recherches préalables, nombre de rencontres avec des femmes ayant eu des parcours similaires à ses héroïnes et beaucoup de pudeur qu’il a réinventé les personnages du roman en mettant en avant des figures féminines puissantes. « Il faut assumer le film qu’on fait, le sujet qui est délicat et, en même temps, le traiter avec la bonne distance. […] N’étant pas moi-même une femme, j’ai essayé de raconter au plus près des personnages, dans leur intimité, mais sans toucher au corps. »
C’est d’ailleurs cette écriture franche et pudique, comme le raconte Legrand, qui a séduit la très belle distribution du film : Sara Giraudeau (Adieu Monsieur Haffmann) ; Benjamin Lavernhe (Mon inconnue), de la Comédie-Française ; Judith Chemla (Le sens de la fête) ; et Damien Bonnard (Les misérables). « Ce sont des gens qui se sont projetés dans ces personnages. Sara me disait, à la remise de prix à Angoulême — les deux actrices principales ont obtenu un prix d’interprétation au Festival du film francophone — : “Tu as choisi deux femmes pour qui être mère est probablement l’état d’être le plus puissant”. »
Le problème était ensuite de garder cette pudeur à l’écran. Une démarche qui, pour Legrand, est passée d’abord par le genre du film : le suspense. Car, au contraire du drame, il permet « de rester dans le concret des situations », explique-t-il. « Les personnages ne se justifient pas de ce qu’ils sont en train de faire. Les ellipses permettent de raconter ce qu’ils ont traversé, leurs états d’âme. J’ai construit le film comme un tunnel qui va progressivement vers le drame. Plus on se rapproche de l’accouchement, plus la tension augmente et plus le film est silencieux. »
Ensuite, il s’agissait d’adopter un point de vue original qui resserre plutôt l’attention sur, justement, la tension : « Avec l’équipe, on a essayé de penser toutes les scènes en travaillant les à-côtés, en se demandant quel est l’enjeu de cette scène au niveau des personnages, au lieu de filmer la première idée qu’on se fait de l’annonce d’une grossesse ou d’une échographie. […] Par exemple, la scène de l’accouchement, qui est censée être la naissance d’un enfant, on l’a travaillée comme une série de portraits. Je crois que c’est ça qui donne au film sa force. On n’a pas besoin de dire les choses, elles sont dans un sous-texte. »
Le long métrage Le sixième enfant prendra l’affiche le 6 janvier.