«Les dangereux»: l’histoire d’un flop annoncé

Le film «Les dangereux» avait été présenté comme un Tarantino québécois et une audacieuse comédie d’action.
Photo: CHRISTAL FILMS Le film «Les dangereux» avait été présenté comme un Tarantino québécois et une audacieuse comédie d’action.

C’était il y a 20 ans déjà. Le producteur Richard Goudreau et le réalisateur Louis Saïa, le tandem à l’origine du mégasuccès Les Boys, croyaient répéter leur exploit au box-office en proposant une audacieuse comédie d’action, Les dangereux. Mais ce qui avait été présenté comme un Tarantino québécois s’avérera un échec retentissant sur tous les plans. Tout y était, pourtant, sur papier : un budget record, un battage médiatique inédit, une trame sonore accrocheuse et une distribution cinq étoiles, avec Véronique Cloutier et Stéphane Rousseau qui faisaient leurs premiers pas au grand écran. Retour sur l’un des pires navets de l’histoire du cinéma québécois.

Difficile de résumer le scénario du film en quelques lignes tellement il est touffu. Mais essentiellement, l’histoire repose sur Roxane Labelle (Véronique Cloutier), une chanteuse rock d’envergure internationale qui est kidnappée par des ravisseurs le soir d’un concert. Son père et accessoirement son gérant, joué par Marc Messier, demande à son comptable maladroit (Stéphane Rousseau) de payer la rançon et de ramener sa fille à bon port. Se succéderont un tas de péripéties invraisemblables, des cascades hollywoodiennes et des placements de produits aussi subtils que les blagues douteuses. Le tout sur une narration de James Hyndman, avec des apparitions de Pierre Marchand et même de Patrick Lagacé. Éclectique, vous dites ?

C’est bien là le principal problème des Dangereux lorsqu’on réécoute le film 20 ans plus tard. Certaines scènes sont d’une violence inouïe, tournées visiblement avec de grands moyens, ce qui fait effectivement écho au cinéma de Tarantino et de Guy Ritchie. Mais à d’autres moments, le niveau de jeu est si cartoonesque et la réalisation à ce point rudimentaire que l’on croit plutôt assister à un épisode de La petite vie.

« Ce qu’on voulait, au départ, c’était un fond de sérieux avec quelques blagues. C’était vraiment censé être un pastiche de Snatch, de Guy Ritchie. C’était un genre que l’on n’avait jamais fait au Québec et, pour la première fois, on avait un budget qui le permettait. Mais le scénario a tellement changé en cours de route. On ajoutait sans cesse des blagues. Ça a donné quelque chose de très caricatural, de très surjoué », se désole l’une des deux coscénaristes, Huguette St-Denis.

Échec commercial et critique

À l’époque, Huguette St-Denis venait tout juste de sortir de l’École nationale de l’humour et s’appelait encore Stéphane St-Denis. Depuis sa transition, il y a une dizaine d’années, elle vit de l’aide sociale, et n’a jamais réussi à retravailler dans le monde de la télé. Huguette St-Denis se dit désillusionnée du show-business québécois, et son expérience sur Les dangereux y est entre autres pour quelque chose.

La sortie du film, en décembre 2002, aura été pénible pour elle, tellement les critiques furent assassines. « Le film est consternant, rien de moins, et fait injure au public québécois », écrira Odile Tremblay dans Le Devoir. La Presse donnera une étoile aux Dangereux.

Et le grand public sera pour une rare fois d’accord avec les journalistes. Tourné avec 7,2 millions de dollars, le plus important budget pour un film québécois à l’époque, Les dangereux amassera moins de 500 000 dollars au box-office. Un flop qui semble avoir laissé des marques.

Ce n’est vraiment pas le pire film québécois de tous les temps

 

L’autre coscénariste, Sylvain Ratté, a décliné notre demande d’entrevue. Le producteur Richard Goudreau ne nous a pas rappelés. Quant au réalisateur Louis Saïa, il s’est contenté de reconnaître qu’il avait connu une traversée du désert après Les dangereux. La plupart des membres de la distribution n’ont pas non plus voulu revenir sur leur expérience.

« Quand on se recroise, on en rit. On est vraiment passés à autre chose. Mais je sais que des gens ont été blessés, alors je suis toujours un peu hésitante à revenir publiquement là-dessus… Mais une fois que c’est dit, la vérité, c’est que dès le départ, je ne le sentais pas pantoute, ce film-là ! » confie Véronique Cloutier, qui n’a pas tenu à défendre Les dangereux dans les médias à sa sortie.

Mauvais pressentiment

La populaire animatrice de La fureur s’était laissé convaincre par Richard Goudreau, un grand ami de son père à l’époque. Elle garde le souvenir d’un tournage difficile, marqué par d’innombrables retards.

« Le tournage a été extraordinaire. On avait beaucoup de fun, même si, effectivement, on s’apercevait que c’était beaucoup plus humoristique que ce qu’on nous avait vendu. Par contre, il y avait des retards comme je n’en ai jamais vu. Parfois, on se présentait pour une journée de tournage et on ne tournait pas du tout. Je me souviens que j’ai passé des heures à jouer à la Xbox sans sortir de ma loge », raconte Didier Lucien, qui jouait Tiger, l’un des méchants du film.

Didier Lucien raconte s’être endormi lors de la première. Véronique Cloutier, elle, a plutôt été marquée par le malaise qui régnait dans la distribution après le visionnement d’équipe. Au moins, elle se console en se disant qu’elle a pu réaliser grâce aux Dangereux l’un de ses fantasmes : celui d’être une chanteuse.

Quand on se recroise, on en rit. [...] Mais je sais que des gens ont été blessés, alors je suis toujours un peu hésitante à revenir publiquement là-dessus… Mais une fois que ça s’est dit, la vérité, c’est que dès le départ, je ne le sentais pas pantoute, ce film-là !

 

Une partie de l’équipe voulait au départ que son personnage fasse du lip sync sur la trame sonore, composée par Stéphane Dufour, le fidèle complice d’Éric Lapointe. C’est finalement bel et bien la voix de l’animatrice que l’on entend sur les deux chansons tirées du film. Enfin, presque. Sur La ballade des dangereux, Véronique Cloutier était incapable d’atteindre les premières notes. Sa voix a donc été jumelée en studio à celle de la choriste, qui avait enregistré la démo.

Non, Véro n’est pas la Callas, et n’a jamais prétendu l’être. Et pourtant, la trame sonore est probablement ce qui sonne le moins faux dans ce film. Nul doute que les deux chansons des Dangereux avaient tout ce qu’il fallait pour devenir des succès radio si elles avaient été chantées par une France D’Amour ou une Laurence Jalbert.

Réhabiliter le film ? 

Un enseignant d’anglais originaire du Saguenay, Marc-André Roy, a même lancé une collecte de fonds en 2018 pour que La ballade des dangereux ait droit à une version karaoké. De fil en aiguille, il en est venu à développer un culte pour ce nanar, en collectionnant les produits dérivés. Marc-André Roy a depuis animé un balado sur Les dangereux et a présenté le film cet été au festival Fantasia pour le 20e anniversaire.

« Au départ, je considérais que c’était un mauvais film, mais mon opinion a changé avec le temps. C’est un film qui a vraiment essayé de sortir des sentiers battus. C’est maladroit, je l’accorde. Mais il y a une vraie tentative de faire un film hollywoodien, alors qu’au Québec, notre cinéma est très lent en général. Juste pour ça, ça mérite qu’on s’y attarde. Ce n’est vraiment pas le pire film québécois de tous les temps », soutient celui qui a rédigé la très étoffée page Wikipédia du film.

Marc-André Roy est d’avis que Les dangereux a peut-être été traité injustement par les critiques et le très élitiste milieu du cinéma, qui en voulaient à Téléfilm Canada d’avoir accordé à Richard Goudreau une généreuse « enveloppe à la performance » de près de 3 millions de dollars pour le féliciter du succès commercial des Boys.

Aurait-on été trop dur avec Les dangereux ? Le public peut en juger par lui-même. Le film est offert gratuitement sur YouTube.



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