Qu’est-ce qu’un film de Noël?

Faites l’exercice : montrez la bande-annonce du film 23 décembre à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler, sans le son et sans lui dévoiler le titre. Demandez-lui ensuite de quel genre il s’agit. La personne n’aura d’autre choix que de deviner qu’il est question d’un film « de Noël ».
Force est de constater que, de nos jours, un véritable genre cinématographique — et plusieurs sous-genres, on le verra plus tard — s’est développé autour de la période des Fêtes. Alors que les cinéphiles voudront profiter des congés à venir pour voir ou revoir des films de Noël, Le Devoir s’est demandé ce qui constitue les codes du genre, au Québec comme ailleurs, et quelles peuvent être ses racines historiques.
Un cinéma rassembleur
Plusieurs spécialistes estiment que c’est le sobre court métrage français Le Noël de Monsieur le curé (1906) qui a lancé le bal. Réalisé par Alice Guy, considérée comme la toute première cinéaste de fiction de l’histoire du cinéma, le film dépeint un curé qui cherche le matériel nécessaire à l’installation d’une crèche dans son église.
Le cinéma de Noël serait donc presque aussi vieux que le cinéma lui-même. Il a toutefois fallu attendre une quarantaine d’années avant que l’on voie apparaître de véritables classiques. Le titre de premier succès populaire typique à avoir traversé l’épreuve du temps revient certainement à La vie est belle (It’s a Wonderful Life, 1946) de Frank Capra.
« Ce film incarne l’idée du cinéma d’après-guerre de proposer des films rassembleurs, consensuels, avec des valeurs conservatrices, explique Guillaume Lafleur, directeur de la programmation à la Cinémathèque québécoise. Les films de cette époque vont puiser dans le patrimoine. [La vie est belle] est inspiré d’Un chant de Noël, de Dickens. C’est aussi le début du feel-good movie. »
Simon Chénier est technicien aux archives de l’Office national du film (ONF) du Canada. Fanatique de films de Noël, il a aussi créé le balado Noël chez Isidore, qui porte sur la culture du temps des fêtes. Il constate que La vie est belle continue d’influer sur le genre : « C’est le film le plus échantillonné que j’aie jamais vu. On le voit jouer à la télévision dans Maman, j’ai raté l’avion, entre autres. »
Une esthétique capitaliste
Un an après La vie est belle, un autre classique fait son apparition. Le miracle de la 34e rue, maintes fois repris, connaît un immense succès. Pour M. Lafleur, ce film incarne les liens forts qui unissent le cinéma de Noël — et Noël tout court — au capitalisme : « La chaîne de magasins Macy’s prend même part au film. On voit aussi son célèbre défilé de l’Action de grâce à New York. »
Rappelons, d’ailleurs, que l’image du père Noël telle qu’on la connaît aujourd’hui a été popularisée par Coca-Cola dans les années 1930. L’entreprise américaine n’a pas inventé le père Noël, comme plusieurs le croient, mais son influence sur l’iconographie des fêtes demeure indéniable.
Ainsi, M. Chénier estime que les années 1930-1940 ont vu naître l’esthétique « noëlée » qui s’est propagée jusqu’aujourd’hui avec des films comme 23 décembre. « On montre des décorations, des sapins et des guirlandes. L’éclairage est aussi très chaleureux », dit-il.
L’autre « âge d’or » du cinéma des fêtes correspond, selon M. Lafleur, aux années 1970-1980, où les premiers blockbusters tels qu’on les connaît aujourd’hui font leur apparition. « Dans les années 1980, on s’éloigne de l’introspection sombre post-guerre du Viêt Nam et on retombe dans des thématiques plus joyeuses. On fait notamment plus de comédies », ajoute M. Lafleur.
Les incontournables au Québec
Selon Guillaume Potvin, programmateur au Cinéma Public, La vie heureuse de Léopold Z (Gilles Carle, 1965) s’impose comme l’un des premiers films de Noël « incontournables » au Québec. Le film nous présente les mésaventures de Léopold, un « déneigeur » montréalais qui doit choisir entre ses obligations professionnelles et sa famille, un jour de Noël en pleine tempête de neige.
Il est aussi question, dans ce film, de « réflexes capitalistes », précise M. Potvin. Léo doit notamment se dépêcher pour acheter des cadeaux à sa femme dans les grands magasins et convaincre son employeur qu’il doit passer du temps avec sa famille. « La question des relations de classes est intrinsèque dans les films de Noël. Ça réconcilie les contradictions inhérentes à cette structure-là », ajoute M. Potvin.
M. Chénier indique que puisque les comédies et les drames familiaux prédominent au cinéma québécois, la tendance se maintient à Noël. « On peut penser à Nez rouge, qui est devenu populaire, ou plus récemment, à Merci pour tout, pour les comédies, dit-il. Du côté des drames, C.R.A.Z.Y. et Mon oncle Antoine ne sont pas nécessairement des films de Noël », mais ces films « ont marqué le Québec », et Noël y occupe « un rôle social important ».
Pour M. Lafleur, c’est surtout le rapport à la neige et au territoire qui définit la spécificité québécoise du cinéma de Noël. Il cite à titre d’exemple La guerre des tuques, dont le récit se déroule pendant le congé des Fêtes.
Subvertir les films de Noël ?
M. Potvin précise qu’au Québec comme ailleurs, les films de Noël se font le miroir de « bonnes valeurs judéo-chrétiennes ». Comme dans Un chant de Noël, dit-il, les films comportent fréquemment des morales où « un personnage misanthrope atteint une rédemption, où il n’aime pas Noël et apprend à aimer son voisin à la fin ».
Cela s’explique, selon lui, parce que, depuis une cinquantaine d’années, ces films sont souvent présentés à la télévision et que leur contenu doit être accessible pour les masses. Ils sont donc, précise M. Potvin, inspirés de grands récits universels, comme celui de Dickens, auxquels un large public peut s’identifier.
M. Chénier soutient que, pour cette raison, plusieurs cinéastes ont voulu subvertir le genre, développant des sous-genres comme « l’horreur de Noël ». Les personnages archétypaux sont aussi fréquemment caricaturés, comme ce fut le cas pour le père Noël voleur de Bad Santa.
Qu’on les prenne au sérieux ou non, les films de Noël sont tellement codifiés, indique M. Lafleur, qu’il importe de « les renouveler, voire de renouveler Noël ». Il y a une « intensité dramatique fabuleuse à Noël, c’est un moment fatidique qu’on doit continuer d’explorer ».