2022 en 15 films marquants

Michelle Yeoh dans «Everything Everywhere All at Once» de Dan Kwan et Daniel Scheinert
Photo: A24 Michelle Yeoh dans «Everything Everywhere All at Once» de Dan Kwan et Daniel Scheinert

Il n’y a rien d’anémique dans cette épatante cuvée de très, très haute tenue. Un survol de François Lévesque, Sonia Sarfati et Odile Tremblay.

The Fabelmans (Les Fabelman)

Photo: Universal Pictures

Entre un portrait de l’artiste en jeune homme éclairant et une chronique familiale bouleversante, le cinéaste s’aventure en des zones émotionnelles beaucoup plus à fleur de peau qu’à l’accoutumée. Spielberg y déconstruit en outre son amour du cinéma en proposant, en filigrane, des clés de lecture inédites pour décoder ses films. Doté d’interprétations uniformément puissantes, surtout celle de Michelle Williams en mère et épouse aimante mais qui étouffe, The Fabelmans est d’ores et déjà un film indispensable. (F.L.)


Guillermo del Toro’s Pinocchio (Pinocchio par Guillermo del Toro)
Photo: Netflix

La version du vénérable conte (ré)imaginée par Guillermo del Toro est plus près de Frankenstein que de l’univers de Collodi. Sus à l’obéissance, vive la désobéissance : chez Del Toro, les enfants désobéissants, témoins de l’horreur et du merveilleux, sont un motif récurrent. Campé dans l’Italie fasciste de Mussolini, le film complète la trilogie « Enfance et guerre », après L’échine du diable et Le labyrinthe de Pan, situés dans l’Espagne de Franco, et rappelant eux aussi que la vraie monstruosité est une caractéristique tout humaine. (F.L.)


Everything Everywhere All at Once (Tout partout tout à la fois)
Photo: Allyson Riggs A24

Le film des Daniels, succès surprise de l’année, est l’antithèse des films de superhéros traditionnels. Une femme, immigrante et presque sexagénaire en guise de superhéroïne : qui dit mieux ? Michelle Yeoh épate dans ce rôle, ou plutôt ces rôles, cousu(s) main. Commerçante, mère, épouse et fille harassée, la voici plongée dans un multivers qu’elle seule peut sauver. Ke Huy Quan et Jamie Lee Curtis sont tout aussi fabuleux. Un film bourré de trouvailles subversives, d’audace, de coeur, de drôlerie et d’imagination. (F.L.)


Décision de partir
Photo: Métropole Films

Un enquêteur insomniaque s’éprend d’une veuve qu’il suspecte d’avoir tué son mari : pareil résumé pourrait chapeauter une banale série B. Or, avec Park Chan-wook aux commandes, l’imprévisibilité narrative n’a d’égale que la virtuosité formelle. Prix de la mise en scène à Cannes, ce récit policier amoureux envoûte. Égal à lui-même, l’auteur d’Oldboy et de Mademoiselle réussit, au mitan, un éblouissant coup de bluff narratif qui vient reconfigurer l’ensemble du récit. Éblouissant. (F.L.)


« X »
Photo: Christopher Moss

En 1979, des aspirants pornographes viennent tourner dans la ferme d’un couple âgé qui, en découvrant le pot aux roses, se venge avec gore et humour noir. Hormis le fait qu’il y inverse les diktats chers au genre, Ti West offre avec X un très intelligent film sur le cinéma. Ici, les scènes montrant le tournage du film de fesses renvoient à West et à son équipe tournant, par-delà la mise en abyme, et avec plus de brio, leur film d’horreur (genre presque aussi méprisé que la porno). Mia Goth, qui revient dans le brillant antépisode Pearl, est inoubliable. (F.L.)
 


The Banshees of Inisherin

Photo: 20th Century Studios

« Je ne t’aime plus. » Le thème a été décliné sur tous les tons, dans tous les arts. Mais rarement a-t-il servi de tremplin à la fin d’une histoire d’amitié entre deux hommes. Brusquement et unilatéralement. Reformant, avec Brendan Gleeson et Colin Farrell, le trio grandiose de In Bruges, Martin McDonagh (Three Billboards Outside Ebbing, Missouri) offre, avec The Banshees of Inisherin, une tragicomédie poignante, douloureuse et magnifique, qui en met plein les yeux, les oreilles et le coeur. (S.S.)


Petite maman
Photo: Lilies Films/NEON

À côté de son inoubliable Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma peut accrocher ce portrait enchanté qu’est Petite maman. À l’avant-plan, Nelly, 8 ans, dont la grand-mère vient de mourir. Là, dans le boisé entourant la maison de son aïeule, elle rencontre une fillette. Qui a 8 ans elle aussi. Et qui porte le prénom de sa mère. Marion. Le passé et le présent se caressent et se fondent dans ce rêve/conte qui explore avec finesse, beauté et justesse les thèmes de la filiation et de la sororité. (S.S.)


Viking
Photo: Micro-scope

Huit ans après Tu dors Nicole, le trop rare Stéphane Lafleur est de retour avec Viking, un film sans drakkar. Une comédie existentielle qui suit l’équipage « miroir » formé au Québec pour prévoir et résoudre avant qu’ils n’éclosent les conflits entre les membres de la mission américaine en route vers Mars. Le résultat est une oeuvre décalée, jouissive et brillante qui en dit beaucoup sur la nature humaine. Sur le Québec. Sur nos rêves, personnels et comme nation. Et sur notre cinéma. (S.S.)


Falcon Lake
Photo: Fred Gervais

Bastien a 13-ans-presque-14. Chloé en a 16. Et elle n’apprécie pas l’intrusion des amis de ses parents dans « ses » vacances. On le devine, une valse-hésitation faite de rebuffades et de rapprochements va s’amorcer entre les deux jeunes. Ce qu’on ne peut prévoir, c’est la façon dont Charlotte Le Bon a chorégraphié leur danse. Falcon Lake est un film nostalgique et poétique posé à hauteur d’ados « attrapés » au moment où ils posent un pied dans l’âge adulte comme ils plongent dans le lac. (S.S.)


She Said
Photo: Universal

Adaptation du livre des journalistes du New York Times Megan Twohey et Jodi Kantor, She Said revient sur l’enquête ayant permis de faire éclater au grand jour les agissements de Harvey Weinstein. Il y avait ici tous les ingrédients pour donner dans le sensationnalisme. La réalisatrice Maria Schrader, la scénariste Rebecca Lenkiewicz et les formidables Carey Mulligan et Zoe Kazan livrent plutôt un drame puissant de sobriété et de dignité, à classer auprès de All the President’s Men et de Spotlight. (S.S.)


EO
Photo: Enchanté Films

Magnifique et mélancolique fable sur l’innocence bafouée, EO donne la vedette à un âne en un puissant coup de chapeau au film Un hasard Balthazar de Bresson. Le cinéaste polonais vétéran Skolimowski émeut et amuse avec les déboires et les gaffes de son héros à quatre pattes sur des images fulgurantes et des cadrages admirables. La beauté de certaines scènes nous éblouit, et le scénario rebondit au fil des maîtres successifs de l’animal sans égarer son rythme. (O.T.)


Pacifiction
Photo: Films du losange

Avec son ampleur et sa profondeur de champ, la grande performance de Benoît Magimel en diplomate ambigu et celle d’une saisissante beauté transgenre locale, Pacifiction fait de Tahiti le cadre d’enjeux brûlants de colonisation. Véritable épopée avec longs plans fixes, ce film nous entraîne dans les abîmes de l’exploitation d’un peuple, un peu comme Apocalypse Now de Coppola. Cette oeuvre crépusculaire du Catalan Albert Serra d’une lucidité implacable est un morceau de bravoure. (O.T.)


Drive my Car
Photo: Festival de Cannes

Ce film ultrasensible et d’une rigueur stylistique admirable tisse des liens étonnants et libère des secrets dans cette rencontre entre un metteur en scène de Tokyo venu monter Oncle Vanya à Hiroshima et la jeune femme qui conduit sa voiture. Oeuvre de culture, d’humanité et d’espoir, brillamment tissée (prix du scénario à Cannes) avec ses chausse-trappes et sa caméra sublime, Drive my Car est un coup de maître du Nippon Ryüsuke Hamaguchi. (O.T.)


Les Olympiades
Photo: MK2 Mile-End

Tournée dans le multiethnique XIIIe arrondissement de Paris en noir et blanc, cette chronique contemporaine fine et humoristique brosse de saisissants portraits entrecroisés d’une jeunesse en quête de sens. Le grand Jacques Audiard, avec ses questionnements existentiels et sa sophistication visuelle, efface les frontières des origines ethniques sur une carte du tendre postromantique où les nouvelles technologies règnent en maîtres. Sa modernité est un paysage multicolore. (O.T.)


TAR
Photo: Focus Features

Ce film de vertige a valu à Cate Blanchett le prix d’interprétation à la Mostra de Venise pour son rôle de cheffe d’orchestre entre ombres et lumières au Philarmonique de Berlin. La descente aux enfers de cette tête d’affiche arrogante à la suite d’allégations d’inconduites sexuelles et de harcèlement renvoie au tapis les dérapages de l’ego et ceux de la culture de l’annulation. Cette oeuvre belle et austère, parfois traversée par de magnifiques scènes oniriques, est une brillante plongée de Todd Field dans la psyché humaine. (O.T.)

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