«L’homme de la cave»: le nouveau monstre de la cave

François Cluzet et Bérénice Bejo dans une scène tirée du film L’homme de la cave
Photo: Photos Caroline Bottaro François Cluzet et Bérénice Bejo dans une scène tirée du film L’homme de la cave

Qu’est-ce que le négationnisme ? Jacques Fonzic répondrait : « Ne pas se contenter de la version officielle. » Maintenant, qui est Jacques Fonzic ? C’est celui qui pose les questions qui dérangent. C’est celui qui se pose en victime. C’est celui qui se tapit dans l’ombre. C’est l’homme de la cave. Cette cave qu’il a achetée à Simon Sandberg en lui affirmant qu’il voulait y entreposer des affaires personnelles avant d’y emménager. Ce n’est que trop tard que Simon et sa famille apprennent la vérité sur leur nouveau « voisin ». Il s’agit d’un professeur d’histoire chassé de la profession pour avoir, entre autres, remis en question la Shoah. Ainsi, le loup conspirationniste est entré dans la bergerie parisienne et il va semer la discorde par ses mots.

Il aura fallu près de dix ans à Philippe Le Guay pour venir à bout de ce scénario. D’abord, parce que l’intrigue ne sort pas de nulle part. Cette mésaventure, pour utiliser un euphémisme, est arrivée à des amis du réalisateur. Ce couple juif avait vendu sa cave sans le savoir à un néonazi, négationniste notoire, qui s’y est ensuite installé. Il aura fallu deux ans de procédures pour déloger l’individu. Le Guay se sentait donc une certaine responsabilité vis-à-vis de ses amis. Deuxièmement, parce qu’il lui fallait trouver comment aborder un sujet aussi délicat que le négationnisme.

Le cinéaste, plutôt habitué à la comédie, a eu l’habileté de camper le négationnisme comme une menace indirecte, obscure. D’abord par cette cave, lugubre, au milieu du dédale sombre et inquiétant du sous-sol. Devant la caméra de Le Guay, l’ombre prendrait presque vie et le réalisateur en fait une émanation de Fonzic, de ses propos malveillants. Pourtant, celui-ci ne les prononce pas lui-même. Ses paroles les plus scandaleuses sortent de la bouche des autres personnages. On figure ainsi l’emprise que peuvent avoir les propos négationnistes sur les individus tout en se rappelant qu’aucun de nous n’est à l’abri de se laisser influencer par ce type de discours, que ce soit en se ralliant au négationnisme ou au contraire en se tournant vers des excès du politiquement correct. Le microcosme de l’immeuble reflète en cela assez bien la société.

Installer la psychose

À l’image de cette continuelle caméra portée, rien n’est stable dans la tête des personnages, chez qui la psychose s’installe progressivement. La patte du coscénariste et ancien psychologue clinicien Gilles Taurand n’est sans doute pas étrangère à la crédibilité de la manipulation qu’exerce Fonzic sur ce petit monde. Plus le film progresse et plus se dévoile toute la perversité de sa stratégie.

C’est là que le bât blesse. Le scénario se révèle déséquilibré. Le travail méticuleux qui a été fait pour les agissements du négationniste ne trouve pas son égal dans les forces opposées. Si le personnage de Bérénice Bejo permet, à travers ses recherches, de donner un visage aux victimes de la Shoah, l’exposé qu’en fait Renier a plus la saveur d’un cours magistral infantilisant.

On regrette aussi que le parallèle entre négationnisme et conspirationnisme ne soit qu’à peine effleuré dans ce film qui manque de peu l’utilité publique. Le clap de la fin se garde bien de nous montrer les dérives dans lesquelles l’engrenage négationniste — et par extension conspirationniste — peut entraîner les esprits les plus malléables, comme celui de la fille adolescente du couple Renier-Bejo. Le Guay ne va pas assez loin dans sa démarche, pourtant ô combien louable, et nous laisse sur notre faim.

L’écriture, malgré ses failles, sert sur un plateau un rôle en or à François Cluzet qui joue un Jacques Fonzic admirablement angoissant. Toujours sur le fil, l’acteur fait passer le spectateur du malaise à la pitié en un battement de cils. Son personnage ténébreux aux allures fantomatiques est d’autant plus menaçant qu’il lui donne des airs de monsieur Tout-le-Monde, avec un côté juste assez malsain pour nous rappeler que nous sommes tous capables du pire.

L’homme de la cave

★★★

Suspense de Philippe Le Guay avec François Cluzet, Jérémie Renier et Bérénice Bejo. France, 2021, 114 minutes. En salle

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