«Au-delà des hautes vallées»: entre tradition et modernité

Une scène tirée du documentaire «Au-delà des hautes vallées»
Photo: Maude Plante-Husaruk Une scène tirée du documentaire «Au-delà des hautes vallées»

Les cinéastes Maude Plante-Husaruk et Maxime Lacoste-Lebuis, en couple depuis une dizaine d’années, ont la piqûre du voyage. C’est le moins qu’on puisse dire. Après avoir arpenté le Tajikistan rural pour leur court métrage The Botanist (2016), ils ont tourné leur regard sensible vers le sublime Himalaya népalais, avec Au-delà des hautes vallées (2021), leur premier long métrage.

Le couple, qui a visité le Népal à plusieurs reprises, ne se doutait pas de ce qui se trouvait au-delà desdites vallées, avant de décider d’en faire un film. « On était en voyage, dans une région du pays qui était plus développée que les autres, et on a compris que ce n’était pas à cause du tourisme », raconte Mme Plante-Husaruk.

Le parfait équilibre

Le couple de cinéastes a pris la meilleure décision possible en optant pour un traitement aussi intime de son sujet. Lorsque juxtaposés au quotidien du camp de travailleurs, les témoignages de Lalita exposent à eux seuls toute la portée politique du film.

Les personnages sont aussi représentés d’une manière qui laisse entrevoir à la fois la sensibilité du regard des réalisateurs et leur respect de l’éthique du documentaire. Évitant les clichés orientalistes, Maude Plante-Husaruk et Maxime Lacoste-Lebuis ont trouvé le parfait équilibre entre l’étude de leur sujet et la beauté qui l’entoure.

Ils ont découvert qu’on y cultivait le yarsagumba, un mystérieux champignon très prisé en Chine pour ses vertus aphrodisiaques, et surtout, dont le commerce est très lucratif. « On a appris que ce produit-là était vendu pour une fortune en Chine, que c’était un symbole de statut social, explique M. Lacoste-Lebuis. C’était emblématique d’un plus grand phénomène socio-économique global. »

C’est donc cet étrange phénomène que les cinéastes ont voulu représenter. Optant pour un traitement intimiste du sujet, ils ont surtout suivi Lalita, une mère de 22 ans, qui a rejoint une caravane de travailleurs en quête d’une meilleure vie pour sa famille. Elle se lance dans un voyage de plusieurs jours, en très haute altitude, récoltant les champignons presque imperceptibles à l’oeil nu, à genoux, autour des neiges éternelles.

Une communauté provisoire se forme ainsi au milieu des montagnes. Des dizaines de travailleurs y installent leurs tentes et s’adonnent à la laborieuse récolte. Lorsqu’elles ne travaillent pas, les femmes cuisinent ou jouent avec leurs enfants. Les hommes, eux, se chamaillent, tantôt pour recharger leur téléphone dans la seule tente électrifiée du camp, tantôt pour négocier la valeur de leur récolte quotidienne.

Les femmes au premier plan

On reconnaît donc des aspects de la culture népalaise traditionnelle parmi les moeurs des habitants, mais cette culture paraît paradoxalement dépendante de relations économiques mondiales. « On a voulu exposer le contraste entre les conditions des travailleurs et celles de ceux qui consomment leur récolte », explique M. Lacoste-Lebuis.

Les cinéastes racontent qu’ils ont consciemment choisi de représenter davantage les femmes dans ce contexte difficile. « On a été en contact avec beaucoup de femmes sur le chemin, précise Mme Plante-Husaruk. Dans leur société culturellement traditionnelle, elles vivent des difficultés que les hommes ne connaissent pas. Elles ont pourtant les mêmes envies et les mêmes rêves qu’eux. »

Photo: Julien Cadena Le Devoir Les cinéastes Maude Plante-Husaruk et Maxime Lacoste-Lebuis

Lalita, la protagoniste, raconte avec lucidité ses angoisses et ses espérances en tant que jeune mère. « Elle s’est livrée de façon très personnelle et intime, explique la réalisatrice. Elle avait des capacités de réflexion et d’introspection, de réfléchir sur sa position dans son village et dans le monde. »

Éclatante de joie de vivre malgré sa pauvreté et ses responsabilités familiales, elle envisage un jour de s’installer à l’étranger pour offrir à ses enfants un avenir plus prospère. « Souvent, au Népal, même quand les femmes ont une excellente éducation, elles ne peuvent plus penser à leur carrière dès qu’elles ont des enfants, soutient M. Lacoste-Lebuis. On a voulu voir quelle forme pouvait prendre le féminisme dans une société qui côtoie la tradition et la modernité en même temps. »

Une histoire de confiance

Le couple a également relevé le défi de gagner la confiance de leurs intervenants. Leur quotidien, leurs conversations sont authentiquement représentés. On a souvent l’impression qu’ils ne voient plus les caméras.

« Le fait d’être une petite équipe de deux nous a vraiment aidés à établir un lien de confiance avec les gens, raconte Mme Plante-Husaruk. Avant de commencer à tourner, on a pris le temps de parler aux villageois, de développer une relation avec eux. On faisait des liens avec ce qu’on avait en commun. On a parlé de nos parents, on a sympathisé autour de la neige au Canada, par exemple. »

Les cinéastes affirment également que la longue durée du tournage, ainsi que le fait de voyager avec leurs sujets, de vivre l’expérience à leurs côtés, les a aidés. En cours de route, ils ont tissé, selon Mme Plante-Husaruk, des liens qui perdureront avec les années : « Les villageois se sont livrés, et on s’est livrés à eux. C’est devenu un magnifique échange entre humains. »

Au-delà des hautes vallées

Documentaire de Maude Plante-Husaruk et Maxime Lacoste-Lebuis. Canada, 2021, 84 minutes. En salle.



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