«Lady Chatterley’s Lover»: un orgasme à soi

Emma Corrin dans le rôle de Lady Chatterley et Jack O’Connell, dans celui du garde-chasse
Photo: Netflix Emma Corrin dans le rôle de Lady Chatterley et Jack O’Connell, dans celui du garde-chasse

C’est jour de noces pour Constance Reid, qui unit sa destinée à celle du baronnet Clifford Chatterley. Elle l’aime comme on aime dans les contes de fées. Or, il n’est point de « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » pour la nouvelle Lady Chatterley. En effet, au retour du front, le mari de Constance est un homme changé. Est-il devenu mesquin par aigreur, confiné qu’il est désormais à un fauteuil roulant, ou l’était-il avant, à l’insu de la romantique jeune mariée ? Malheureuse, la voici qui repère le garde-chasse de la vaste propriété, Oliver Mellors… Et ce dernier de lui lancer des regards à la dérobée… Bientôt, le désir embrase les amants.

Ainsi en va-t-il dans Lady Chatterley’s Lover (L’amant de Lady Chatterley), sur Netflix le 2 décembre, film précédé d’échos élogieux depuis sa première au festival du film de Telluride.

Le roman original de D.H. Lawrence connut trois versions différentes. La première fut publiée en 1928 peu avant la mort de l’écrivain, et la dernière, au contenu sexuel explicite et au langage pas toujours châtié, en 1959-1960. Le livre fut mis à l’index dans plusieurs pays, dont le Canada. Un procès pour obscénité eut même lieu. Évolution des moeurs aidant, sa dimension provocante s’est estompée.

Il reste qu’on trouve trace de cette histoire, dans sa plus simple expression, ou plutôt dans son expression la plus simpliste, dans à peu près tous les récits subséquents où une femme élégante et coincée s’épanouit au contact (sexuel) d’un mâle viril un peu rustre. D’où le bonheur de découvrir cette récente adaptation, pas guimauve ou réac pour deux sous, réalisée par Laure de Clermont-Tonnerre.

La cinéaste offre ici un deuxième long métrage plein d’assurance et de fougue après le remarqué Mustang, en 2019, où Matthias Schoenaerts jouait un détenu réhabilité au contact de chevaux. Dans l’intervalle, la Française d’origine a en outre réalisé des épisodes de séries, comme Mrs. America, avec Cate Blanchett.

L’influence de Campion

Souvent porté à l’écran, petit comme grand, Lady Chatterley’s Lover a auparavant eu droit à toutes sortes de traitements : mièvre avec Marc Allégret (1955), érotico-titillant avec Just Jaeckin (1981), appliqué, mais fade avec Ken Russell (1993)…

La version de 2006, signée Pascale Ferran, une femme, tiens, était excellente. Celle imaginée par Laure de Clermont-Tonnerre ne pâlit pas en comparaison, d’autant que l’approche est différente. Loin du dépouillement réaliste de la première, la seconde opte pour une poésie impressionniste envoûtante.

La caméra de Laure de Clairmont-Tonnerre s’arrime principalement à la protagoniste (le film perd en force lors de rares occasions où une autre perspective est inopinément épousée), la suivant alors qu’elle propulse le récit. C’est pour le compte Constance qui a l’initiative de la séduction, et lorsque Oliver paraît vouloir s’imposer, elle s’esquive le temps de lui faire comprendre qu’elle n’entend pas être dominée par lui plus que par son mari.

Dans leur repaire sis au coeur de la luxuriante forêt, leurs rapports sont égalitaires.

 

Ce qui distingue davantage cette version-ci, y compris de celle de Pascale Ferran, c’est que Laure de Clermont-Tonnerre filme surtout la nudité de Constance en contexte quotidien : lorsqu’elle se lave, qu’elle scrute son corps dans la glace ou qu’elle se masturbe. À noter que Constance atteint la jouissance par elle-même, avant sa liaison avec Oliver ; ou un orgasme à soi.

C’est la nudité d’Oliver, filtrée par le regard de Constance justement, qui est érotisée. Jane Campion privilégiait un parti pris identique avec Harvey Keitel dans son chef-d’oeuvre The Piano (La leçon de piano ; 1993). A posteriori, on ne manquera d’ailleurs pas de remarquer que les trois figures en présence dans le roman Lady Chatterley’s Lover et le scénario de The Piano sont similaires : une femme mal mariée qui s’émancipe par la sexualité, un époux inadéquat, et un amant libérateur identifié à la nature.

En l’occurrence, dans le film de Laure de Clermont-Tonnerre, la direction photo bleutée de Benoît Delhomme (L’odeur de la papaye verte) n’est pas sans rappeler celle de Stuart Dryburgh dans le film de Jane Campion. Ce n’est pas anodin.

Émancipations tous azimuts

L’interprétation d’ensemble est remarquable, avec une mention spéciale à Joely Richardson, ici l’infirmière de Lord Chatterley, et autrefois Lady Chatterley dans la minisérie de 1993. En garde-chasse à la fois habile de ses mains (pardon) et avide lecteur de James Joyce, Jack O’Connell est charismatique à souhait — quoique son personnage semble presque trop parfait.

Entre l’ingénuité du début et l’espoir lucide du dénouement, Emma Corrin (The Crown, My Policeman) module de son côté une performance exquise dans le rôle-titre. La bonne société à laquelle Constance appartient — un mot lourd de sens s’il en est — étant régie par des diktats étriqués qui ne sauraient souffrir une telle indépendance d’esprit (et de corps), quel sort l’attend ?

À défaut d’un conte de fées, Constance peut-elle aspirer à une relation qui serait aussi stimulante pour ses méninges que pour sa chair ? La réponse de Laure de Clermont-Tonnerre, qui s’émancipe elle-même de la source, a l’heur de satisfaire.

L’amant de Lady Chatterley (V.F. de Lady Chatterley’s Lover)

★★★★

Drame sentimental de Laure de Clermont-Tonnerre. Avec Emma Corrin, Jack O’Connell, Matthew Duckett, Joely Richardson. États-Unis–Grande-Bretagne, 2022, 112 minutes. Netflix.

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