«Guillermo del Toro’s Pinocchio»: bel et cruel enchantement

Jadis une ode à l’obéissance, le récit devient, entre les mains de Guillermo del Toro, un plaidoyer pour la désobéissance.
Netflix Jadis une ode à l’obéissance, le récit devient, entre les mains de Guillermo del Toro, un plaidoyer pour la désobéissance.

Un vieil ébéniste a toujours langui d’avoir un enfant. Miracle : voici que celui qu’il vient de sculpter dans une bûche prend vie. Naissance de Pinocchio. Écrit en 1883, le conte de Collodi se passe de présentations pour avoir été adapté quantité de fois à la télé et au cinéma, en animation comme en prises de vues réelles. Rien qu’en 2021-2022, trois versions furent produites : une excellente signée Matteo Garrone, une médiocre réalisée par Robert Zemeckis, et, à l’affiche depuis vendredi, une fabuleuse imaginée par Guillermo del Toro.

On écrit « imaginée », mais « réimaginée » conviendrait en l’occurrence davantage pour qualifier ce long métrage réalisé par Guillermo del Toro (avec le concours de Mark Gustafson) avec force maestria, minutie et inventivité, en animation en volume, ou « stop-motion ». En effet, le génial cinéaste mexicain, lauréat de l’Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisation pour The Shape of Water (La forme de l’eau), prend maintes libertés par rapport à la source, qu’il s’approprie (voir le titre complet : Guillermo del Toro’s Pinocchio ou Pinocchio par Guillermo del Toro) sans toutefois trahir l’esprit de celle-ci.

Dès le départ, entre autres exemples, on fait la connaissance d’un Geppetto non pas sans enfant, mais père d’un fils qu’il adore. Malheur, la Première Guerre mondiale le lui prendra lors d’une séquence où puissance émotionnelle et brio technique se côtoient. Par une nuit d’orage, un Geppetto désespéré et ivre tentera de soulager sa peine en sculptant un petit garçon dans un bout de bois. Sur fond d’éclairs et de foudre, Geppetto, tel un savant fou, essaie de vaincre la mort. Dès lors, on est plus près de Frankenstein que des adaptations passées de Pinocchio.

D’ailleurs, comme le signalait del Toro lors d’une conférence virtuelle à laquelle nous avons assisté : « Les deux histoires qui ont marqué, voire défini mon enfance sont Pinocchio et Frankenstein. »

Quoi qu’il en soit, le pantin prendra vie, la Fée bleue ayant été remplacée par une Fée des bois qui ressemble vaguement à l’Ange de la mort à la fin de Hellboy II: The Golden Army (Hellboy II. L’armée d’or).

La suite, très fluide et portée par la musique et les chansons d’Alexandre Desplat (Oscar pour The Shape of Water), procède par épisodes et ellipses. On reconnaît les grandes lignes originelles, comme cette fugue dans le giron d’un théâtre ambulant dirigé par un sinistre sire. Le séjour dans le ventre d’un monstre marin (pas exactement une baleine) survient également.

Fin d’une trilogie

Or, le discours a changé. Jadis une ode à l’obéissance, le récit devient, entre les mains de Guillermo del Toro, un plaidoyer pour la désobéissance. Qui connaît le cinéma de l’auteur ne s’en étonnera guère, plusieurs de ses films étant peuplés d’enfants qui désobéissent et qui, ce faisant, entraînent le public à leur suite dans des péripéties terrifiantes ou merveilleuses — souvent les deux.

On pense à la petite Aurora qui persiste à aider son grand-père vampire dans Cronos, au jeune Chuy qui s’aventure dans l’antre des monstres contre l’avis de son grand-père dans Mimic (Métamorphose), aux héros orphelins qui déjouent le voleur meurtrier dans L’échine du diable, à l’inoubliable Ofelia qui défie son cruel capitaine franquiste de beau-père dans Le labyrinthe de Pan

À ce propos, del Toro a confirmé que son Pinocchio complétait sa trilogie « enfance et guerre », après L’échine du diable et Le labyrinthe de Pan, justement. De fait, après avoir campé ces deux derniers films en Espagne durant le régime de Franco, le cinéaste a transposé son Pinocchio dans l’Italie de Mussolini.

Loin d’être accessoire, ce changement d’époque engendre un passage dans un camp d’entraînement fasciste où les dons uniques de Pinocchio, qui revient à la vie chaque fois qu’il périt, sont prisés pour les mauvaises raisons. Ce contexte historique est aussi l’occasion pour le cinéaste de rappeler, comme dans les deux précédents opus de sa trilogie, qui mettaient respectivement en scène des fantômes et des créatures fantastiques, que la vraie monstruosité (ici le fascisme) est une caractéristique tout humaine.

À cet égard, et là encore, comme dans beaucoup des films de Guillermo del Toro, ce sont au premier chef les adultes comme Geppetto, bien davantage que les enfants, qui ont des choses à apprendre des êtres fantastiques sortis du bestiaire du cinéaste. Une fois n’est pas coutume, mais se faire ainsi donner la leçon se révèle un véritable enchantement.

Pinocchio par Guillermo del Toro (V.F. de Guillermo del Toro’s Pinocchio)

★★★★ 1/2

Conte de Guillermo del Toro et Mark Gustafson. États-Unis, Mexique, 2022, 114 minutes. En salle dès maintenant et sur Netflix le 9 décembre.

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