Inquiétudes du côté des ciné-clubs

C’est ce qu’on appelle un effet pervers. En voulant bien agir pour encourager la diffusion d’un minimum de films québécois par les ciné-clubs, certains festivals et les salles indépendantes du Québec, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) a finalement retiré cet été ses subventions à certains diffuseurs.
Les pertes peuvent totaliser jusqu’à 20 % des budgets annuels d’organismes culturels sans but lucratif déjà en situation bien précaire. Cette conséquence a finalement été compensée en partie par une seconde série de subventions moins généreuses, terminée en septembre.
Le Programme d’aide à la promotion et à la diffusion accorde un soutien sur trois ans, avec 20 000 $ par année maximum par organisme, pour les dépenses en lien avec le cinéma québécois, le mandat de la SODEC étant de soutenir les industries culturelles nationales. Les critères exigent la programmation en moyenne annuelle d’au moins 8 films québécois, qui doivent totaliser 35 % et plus des projections. En 2021-2022, 28 organismes de diffusion et de programmation ont reçu de l’aide en se séparant une enveloppe de 1,6 million environ pour trois ans.
Les cinémas indépendants demandaient eux-mêmes que l’aide soit dorénavant accordée sur une base triennale plutôt qu’annuelle. Ils ne disputent pas non plus la pertinence d’exiger un minimum de programmation québécoise. L’évaluation du respect de la nouvelle règle en se basant sur la moyenne des trois années précédentes de programmation a cependant paru injuste à certains.
« Nous avons été consultés sur la transition de programme, et on pensait sincèrement que la très grande majorité des salles respectaient les critères de 8 films ou 35 % des projections », dit Armandine Seiss, directrice générale de l’Association des cinémas parallèles du Québec (ACPQ).
Situations fragiles
Le regroupement représente environ 60 salles et festivals répartis dans quinze régions avec des réalités disparates, certains proposant une projection par semaine pour quelques dizaines de spectateurs, d’autres une par jour en moyenne dans de grandes salles. Environ les trois quarts des membres sont financés ou ont été financés par la SODEC au cours des dernières années. Environ un quart des membres ne sont pas admissibles au Programme d’aide à la promotion et à la diffusion revu et corrigé cet été.
« Dans notre réseau, on observe plus de 50 % de programmation québécoise. La SODEC avait fait des calculs avant d’instaurer ses changements. Sauf qu’au premier volet, on s’est rendu compte qu’un certain nombre de salles ne pensaient pas se qualifier. Il y a eu un petit moment de panique. Les organismes que l’on représente sont dans des situations très fragiles », explique Mme Seiss.
La SODEC explique que l’Association a été consultée tout au long du processus de révision et que les nouvelles mesures ont été présentées un an avant leur mise en oeuvre. Elle ajoute que l’ACPQ n’a fait part de ses réserves que deux semaines avant la date limite du dépôt des demandes d’aide, le 8 juillet 2022.
« Certains écueils ont été mis au jour et seront abordés, mais nous maintenons la décision d’évaluer l’admissibilité de l’entreprise sur des données rétroactives », écrit au Devoir Johanne Morissette, directrice des communications de la SODEC. « Les entreprises qui n’ont pas satisfait aux critères cette année pourront soumettre une nouvelle demande l’an prochain. Le dépôt sera ouvert chaque année pour accueillir de nouveaux requérants. »
Elle souligne aussi que les organismes de diffusion et de programmation ainsi que les salles de cinéma commerciales ont pu déposer en septembre « une demande dans le cadre d’un nouvel appel de projets visant à soutenir les entreprises dans le développement de leur offre de cinéma québécois ». Les enveloppes annuelles (et non triennales) y sont moins généreuses (10 000 $ maximum au lieu de 20 000 $ par année) pour les ciné-clubs.
Une période difficile
Ciné-Campus Trois-Rivières a perdu sa subvention. Le couperet retranche 20 000 $ des quelque 100 000 $ de son budget annuel. La décision lui a été annoncée par lettre le 22 août. L’organisme propose souvent plus de huit films québécois par année, mais qui totalisent moins de 35 % des projections.
« Nous sommes traumatisés dans un sens, dit Stella Montreuil, directrice générale de Ciné-Campus Trois-Rivières. Nous sommes en accord avec la SODEC pour les exigences du nombre de films québécois à mettre à l’affiche. C’est le pourcentage de projection qui pose problème chez nous. Pourquoi ne pas avoir demandé de respecter une condition ou l’autre par exemple ? Et pourquoi s’appuyer sur les pratiques passées ? Nous n’avons pas de prise sur le passé. »
L’organisme a 55 ans, et il s’agirait du plus vieux ciné-club encore en fonction en Amérique du Nord. Sa programmation comprend en moyenne 6 projections par semaine maintenant réduites à 4 par les compressions de financement. L’organisme sans but lucratif fonctionne avec beaucoup de bénévolat.
La décision de la SODEC arrive en plus dans une période difficile, les ciné-clubs, comme bien d’autres lieux de diffusion, n’ayant pas encore retrouvé leurs niveaux de fréquentation prépandémiques. « Des gens ont encore peur de sortir, dit Mme Montreuil. C’est certain que, dans ce contexte, la décision de la SODEC ne nous aide pas. »
Ciné-Campus Trois-Rivières a déposé une demande dans le cadre du second volet instauré après les critiques des nouvelles conditions du premier. Les décisions de la SODEC concernant ce second volet ne sont pas encore connues.